Photographiés dans les années 1930, les glaciers de l’Antarctique oriental sont stables

par Mirjana Binggeli
06/13/2024

En associant des photographies datant des années 1930, à des images plus récentes et des données satellitaires, une équipe de recherche norvégienne a pu déterminer qu’une partie des glaciers de l’Antarctique oriental sont plutôt stables depuis cent ans. 

Nous sommes en 1937 à l’est de l’Antarctique. Un Stinson Reliant, équipé d’une caméra automatique, effectue des survols au-dessus d’une côte couverte d’une épaisse couche de glace et photographie les glaciers. L’expédition, commandée et payée par le baleinier norvégien Lars Christensen, constitue la première campagne de photographie aérienne à grande échelle menée sur le continent antarctique. Le but est de cartographier cette partie du continent bien moins explorée que le partie occidentale. 

Sa mission terminée, l’expédition rentre en Norvège, au sein d’une Europe troublée. La guerre éclate peu après et la Norvège est envahie par l’Allemagne nazie, ce qui met un terme au projet de carte. L’Institut polaire norvégien, situé à Tromsø, stocke les images dans ses archives où elles seront oubliées pendant près d’un siècle avant que des chercheurs de l’Université de Copenhague découvrent l’histoire de l’expédition. Ils se rendent alors à Tromsø où ils passeront en revue les quelque 2 200 vues aériennes prises durant l’expédition et en sélectionneront 130 pour leur analyse.

Au total, 21 glaciers, situés le long d’environ 2000 km de côte à l’est du continent antarctique, ont été étudiés. Tous les glaciers sont à terminaison marine de largeur variant de 2 à 10 km. L’étude démontre que, au cours des 85 dernières années, les glaciers sont restés stables et ont même pris de la masse grâce aux chutes de neige. Carte : Mads Dømgaard / Institut norvégien polaire

Une véritable manne. Il existe en effet très peu d’images anciennes des glaciers de l’Antarctique oriental, ce qui pose un véritable problème : comment suivre l’évolution des glaciers sans images ou données ? « Au Groenland et au Svalbard, les observations à long terme à partir d’images aériennes historiques ont été vitales pour déterminer la réponse historique des glaciers au changement climatique. », notent les auteurs dans leur étude publiée le 25 mai dernier dans la revue Nature Communications. « Cependant, en Antarctique, la rareté des données climatiques historiques rend les estimations de réanalyse climatique avant les années 1970 largement incertaines, et les tendances observées ne peuvent pas être clairement distinguées de la variabilité naturelle. »

Les images d’archives seront complétées par 164 images des mêmes glaciers prises par des scientifiques australiens entre 1950 et 1974 et combinées avec des données satellitaires modernes, offrant ainsi des images composites en 3D des glaciers sur environ 2 000 kilomètres de côtes, et des conclusions plutôt encourageantes. Les résultats montrent en effet que les glaciers de l’Antarctique oriental sont restés stables au cours de ces 85 dernières années. Une bonne nouvelle selon Mads Dømgaard, auteur principal de l’étude : « Nous entendons constamment parler du changement climatique et de nouveaux enregistrements de fonte, il est donc rafraîchissant d’observer une zone de glaciers qui est restée stable pendant près d’un siècle », déclare le doctorant dans un communiqué de presse publié le 30 mai dernier par l’Université de Copenhague.

Alors que les glaciers de l’Antarctique occidental perdent beaucoup et de glaces et fondent rapidement, les glaciers du côté est montrent une certaine stabilité, même si des portions de glace ont disparu à l’image de la langue de glace flottante du Glacier Honnörbrygga. Sur l’image prise en 1937, on la distingue clairement avec ses 9 km de long. Cette langue glaciaire a disparu à la fin des années 1950 et, en raison de l’affaiblissement de la glace de mer, n’a plus repoussé. Photo : Mads Dømgaard / Institut polaire norvégien

Toutefois, des changements sont déjà perceptibles dans la glace de mer. « Nos résultats indiquent également l’affaiblissement des conditions de la glace de mer, rendant les langues de glace flottantes des glaciers plus vulnérables et incapables de devenir aussi grandes que celles observées dans les premières images aériennes de 1937. Nous savons, grâce à d’autres parties de l’Antarctique, que l’océan joue un rôle extrêmement important et est à l’origine de la fonte massive et croissante que nous voyons par exemple en Antarctique occidental. », déclare Mads Dømgaard.

Lien vers l’étude : Dømgaard, M., Schomacker, A., Isaksson, E. et al. Early aerial expedition photos reveal 85 years of glacier growth and stability in East Antarctica. Nat Commun15, 4466 (2024). https://doi.org/10.1038/s41467-024-48886-x

Mirjana Binggeli, Polar Journal AG

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