Claudio Gonzalez – L’histoire des courants austraux sous la coquille des escargots

par Camille Lin
03/18/2025

De retour de l’île Macquarie, un biologiste marin de l’Institut chilien Milenio Base réalise un rêve scientifique et personnel en récoltant de rares exemplaires de mollusques.

Les manchots mangent certains mollusques vivant sur l’estran. Image : Michael Wenger

La lune passe et la mer se retire. Des roches couvertes de coquillages émergent. Un paysage qu’affectionne Claudio Gonzalez, biologiste spécialiste des invertébrés. Il sillonne le sud du Chili et l’Antarctique depuis 18 ans, en quête d’exemplaires de crustacés à étudier sur la côte révélée à marée basse. Les animaux qu’il cherche du côté américain de l’océan Austral sont liés aux populations des îles subantarctiques, comme l’île Macquarie, à l’opposé du continent blanc. « J’avais plusieurs fois vu cette île décrite dans les livres, mais cette fois-ci, je l’ai vue, avec ses baleines, ses orques et ses oiseaux fabuleux. » Claudio Gonzalez revient d’une expédition au cours de laquelle il a pu poser le pied sur l’île, une première dans sa carrière. « C’était une expérience de vie. Un rêve devenu réalité. »

Il est l’un des investigateurs principaux de l’Instituto Milenio Base, un projet décennal chilien qui recoupe plusieurs champs de la connaissance, liant ainsi une vingtaine d’institutions chiliennes et étrangères pour répondre aux questions scientifiques du système du Traité sur l’Antarctique.

Dès ses débuts en 2022, l’initiative et l’entreprise française Ponant ont passé des accords permettant aux scientifiques du réseau d’embarquer sur des croisières. « Ils nous permettent de travailler sur le terrain pendant qu’ils font leurs activités touristiques », explique le chercheur, de retour à l’Université australe du Chili en possession d’échantillons rares de gastéropodes et autres mollusques. « Ainsi, nous avons pu nous rendre dans les îles subantarctiques de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie. »

Les données moléculaires permettront de déterminer si la physiologie de l’espèce est capable de tolérer les changements de température provoqués par le changement climatique. Image : Coll. Claudio Gonzalez / Instituto Milenio Base

Des autorisations sont nécessaires pour accéder à ces réserves naturelles. « Nous n’avons malheureusement pas pu débarquer aux Antipodes et sur Snares », explique-t-il. « Le tourisme n’y est pas permis. » Pour que Claudio Gonzalez puisse débarquer, il est indispensable que les touristes le puissent également. En revanche, les portes des îles Auckland, Campbell et Macquarie leur ont été ouvertes.

À l’approche de la plus attendue d’entre toutes, Macquarie, la queue d’un typhon indonésien a soulevé l’océan. Le navire a été retardé, et Claudio Gonzalez a perdu un jour. Enfin, arrivé sur place un mercredi matin, il débarque… à marée haute. « La marée haute, quand on travaille sur la zone des marées, c’est un casse-tête. Les options de collecte sont plus difficiles quand l’eau t’arrive à la ceinture. Il a fallu mettre la tête sous l’eau et dans les vagues pour sortir les exemplaires », explique-t-il.

Claudio Gonzalez travaille sur l’histoire évolutive des mollusques marins qui s’accrochent au littoral. Image : Coll. Claudio Gonzalez / Instituto Milenio Base

L’après-midi, les prévisions de l’autre côté de l’île sont plus favorables, et la marée, basse. Mais le vent change de direction et la houle monte. Le débarquement est annulé. « Quelle frustration de ne pas avoir pu débarquer », confie-t-il. Claudio Gonzalez se souvient avoir relativisé en se remémorant les Rolling Stones : « On ne peut pas toujours obtenir ce que l’on veut, mais si l’on essaie de temps en temps, on trouve, on obtient ce dont on a besoin. » A posteriori, il estime être rentré avec ce dont il avait besoin.

« Quand j’étais en doctorat, j’avais réussi à obtenir un échantillon de tissu de l’espèce endémique de Macquarie, Nacella macquariensis, et là, j’ai 15 exemplaires », explique-t-il. « C’était une expérience scientifique fantastique. » Il rapporte également de petits gastéropodes d’à peine 8 mm, tels que Laevilitorina venusta. Celle-ci ne produit pas de larves mais des juvéniles qui s’accrochent aux macroalgues pour voyager. Quand ces dernières se décrochent, elles flottent et circulent pendant près d’un an autour de l’Antarctique. « Une estimation de 2001 notait 8 millions de radeaux circulant dans le courant circumpolaire à l’instant t », remarque le chercheur.

Les macroalgues du genre Durvillaea sont les plus résistantes à la dérive océanique. Image : Julia Hager

Dans les îles de l’Amérique du Sud comme Hornos ou Diego Ramírez, jusqu’à Macquarie, en passant par Crozet et Kerguelen, les populations de gastéropodes et autres mollusques sont plus ou moins connectées. « L’île est un point particulièrement isolé dans l’aire de répartition des espèces animales que j’étudie et elle a un fort niveau d’endémisme », explique-t-il. « Nous travaillons sur les marqueurs d’évolution que l’on trouve dans le génome des escargots. Nous allons pouvoir déterminer si la distribution actuelle de ces espèces est le résultat d’une dispersion contemporaine ou si cela est arrivé il y a 100 000 ans. »

Le fruit de sa dernière collecte est en cours d’analyse, et Claudio Gonzalez prévoit de repartir, espérant que la marée soit avec lui et ainsi ajouter quelques coquilles habitées à son « coquillier ».

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