Des données satellitaires révèlent de minuscules baisses du niveau de la mer qui marquent des chutes d’eau sous-marines – de l’eau froide et dense plongeant au large du plateau continental de l’Antarctique. Ces flux contribuent à réguler le climat de la Terre, mais s’affaiblissent à mesure que la planète se réchauffe.
Sous la surface de l’océan Austral, de vastes volumes d’eau froide et dense plongent du plateau continental de l’Antarctique, cascadant le long de falaises sous-marines jusqu’au fond de l’océan, des milliers de mètres plus bas. Ces chutes d’eau cachées sont un élément clé de la circulation de retournement de l’océan mondial – un vaste tapis roulant de courants qui déplace la chaleur, le carbone et les nutriments dans le monde entier, contribuant ainsi à réguler le climat de la Terre.
Pendant des décennies, les scientifiques se sont efforcés d’observer ces cascades sous-marines d’eau dense autour de l’Antarctique. Elles se trouvent dans certaines des eaux les plus éloignées et les plus agitées de la planète, souvent enveloppées par la glace de mer et canalisées dans d’étroits canyons que les navires de recherche peuvent facilement manquer.
Mais nos nouvelles recherches montrent que les satellites, en orbite à des centaines de kilomètres au-dessus de la Terre, peuvent détecter ces chutes sous-marines.
En mesurant de minuscules variations du niveau de la mer, de l’ordre de quelques centimètres, nous pouvons désormais suivre les cascades d’eau dense depuis l’espace. Cette avancée nous permet de surveiller les branches les plus profondes de la circulation océanique, qui ralentissent avec la fonte des glaces de l’Antarctique et le réchauffement des eaux de surface.
L’eau dense contribue à réguler le climat
L’eau dense de l’Antarctique se forme lorsque la glace de mer se développe, ce qui rend l’eau environnante plus salée et plus dense. Cette eau lourde se répand ensuite sur le plateau continental jusqu’à ce qu’elle trouve un chemin pour se déverser par-dessus le bord, plongeant dans les profondeurs le long de pentes sous-marines abruptes.
En s’écoulant vers le nord le long du plancher océanique, l’eau dense apporte de l’oxygène et des nutriments dans les abysses, ainsi que du carbone et de la chaleur provenant de l’atmosphère.
Mais ce processus crucial est menacé. Le changement climatique fait fondre la calotte glaciaire de l’Antarctique, ajoutant de l’eau de fonte fraîche à l’océan et rendant plus difficile la formation d’eau dense.
Des recherches antérieures ont montré que la circulation abyssale a déjà ralenti de 30 % et qu’elle risque de s’affaiblir encore dans les années à venir. Cela pourrait réduire la capacité de l’océan à absorber la chaleur et le carbone, accélérant ainsi le changement climatique.
Notre recherche fournit une nouvelle technique qui permet d’observer facilement et directement les changements futurs de la circulation abyssale de retournement de l’océan Austral.
Satellites et niveau de la mer
Jusqu’à présent, le suivi des cascades d’eau dense autour de l’Antarctique s’est appuyé sur des lignes de mouillage, des études menées par bateau et même des capteurs attachés aux phoques. Si ces méthodes permettent d’obtenir des informations locales précieuses, elles sont coûteuses, exigeantes sur le plan logistique, gourmandes en carbone et ne couvrent qu’une zone limitée.
Les données satellitaires offrent une alternative. Des satellites tels que CryoSat-2 et Sentinel-3A peuvent mesurer, à l’aide de radars, les variations de la hauteur de la surface de la mer à quelques centimètres près.
Grâce aux progrès récents en matière de traitement des données, nous pouvons désormais obtenir des mesures fiables même dans les régions couvertes de glace, en observant la surface de la mer à travers les fissures et les ouvertures de la glace de mer.
Dans notre étude, nous avons combiné près d’une décennie d’observations par satellite avec des modèles océaniques à haute résolution centrés sur la mer de Ross. Il s’agit d’un point chaud critique pour la formation d’eau dense dans l’Antarctique.
Nous avons découvert que les cascades d’eau dense laissent un signal de surface révélateur : une baisse subtile mais constante du niveau de la mer, causée par l’enfoncement de l’eau froide et lourde sous la cascade.
En suivant ces subtiles baisses du niveau de la mer, nous avons mis au point un nouveau moyen de surveiller les changements annuels dans les cascades d’eau dense le long du plateau continental de l’Antarctique. Le signal satellitaire que nous avons identifié correspond bien aux observations recueillies par d’autres moyens, ce qui nous permet de penser que cette méthode peut détecter de manière fiable des changements significatifs dans la circulation océanique profonde.
Bon marché et efficace – sans émissions de carbone
C’est la première fois que les cascades d’eau dense de l’Antarctique sont surveillées depuis l’espace. Ce qui rend cette approche si puissante, c’est sa capacité à fournir des observations à long terme et de grande envergure à faible coût et sans émissions de carbone, en utilisant des satellites déjà en orbite.
Ces innovations sont d’autant plus importantes que nous nous efforçons de surveiller un système climatique qui évolue rapidement. La force des courants profonds de l’Antarctique reste l’une des principales incertitudes des projections climatiques mondiales.
La possibilité de suivre leur évolution depuis l’espace offre un nouveau moyen puissant de surveiller l’évolution de notre climat et d’élaborer des stratégies d’adaptation plus efficaces.
Matthis Auger, chercheur associé en océanographie physique, Université de Tasmanie
Cet article est republié de The Conversation sous une licence Creative Commons. Lire l’article original