Une agression au sein d’une station antarctique sud-africaine fait actuellement les gros titres. Si le phénomène est rare, il n’est pas exceptionnel. L’isolement, l’ennui et le confinement dans un environnement hostile peuvent mettre les nerfs du personnel scientifique et de station à rude épreuve.
«Son comportement a atteint un niveau profondément inquiétant. Il a agressé physiquement l’un des nôtres, ce qui constitue une grave violation de la sécurité personnelle et des normes du lieu de travail. Son comportement est devenu de plus en plus flagrant et j’éprouve de grandes difficultés à me sentir en sécurité en sa présence. Il est impératif que des mesures soient prises immédiatement pour assurer ma sécurité et celle de tous les employés». Des mots inquiétants pour une situation qui l’est tout autant.
Le 16 mars dernier, l’hebdomadaire sud-africain Sunday Times révélait un courriel adressé par l’un des membres de l’équipe d’hivernants de la station SANAE IV. L’équipe, composée de neuf personnes, avait pris ses quartiers au sein de la base sud-africaine le 1er février pour un hivernage qui devait se poursuivre jusqu’en décembre.
Las, moins d’un mois plus tard, une agression et des menaces de mort devaient venir semer le trouble et la peur au sein de la station pour ce qui évoque un ‘pétage de plomb’ en bonne et due forme. Les autorités sud-africaines, alertées le 27 février dernier par les hivernants, évoquent en effet un différend entre l’auteur présumé et le chef d’équipe qui voulait changer l’horaire d’une tâche dépendante des conditions météorologiques.
Suite au signalement, le ministère sud-africain des Forêts, de la Pêche et de l’Environnement (DFFE) s’est entretenu avec les membres de l’équipe, ainsi qu’avec l’auteur présumé des faits. Ce dernier a accepté de se soumettre à une évaluation psychologique plus poussée, tout en présentant ses excuses et en exprimant des remords, selon les informations publiées par le ministère dans un communiqué de presse daté du 17 mars dernier.
« Le DFFE exige que chaque personne candidate à un entretien soit soumise à une analyse psychométrique indépendante, confidentielle et professionnelle pour s’assurer qu’elle est en mesure de faire face à l’isolement et qu’elle peut travailler et vivre avec d’autres personnes dans l’espace confiné des bases. », indique le ministère. « Seuls les candidats qui n’ont pas de résultats négatifs à toutes les évaluations de base seront pris en considération pour la nomination. »
Une procédure standard qui s’applique à l’ensemble du personnel scientifique et de maintenance des stations antarctiques. Toutefois, il demeure difficile de prévoir et de se prémunir contre ce genre d’incidents qui restent fort heureusement rares.
Il faut dire que les équipes, en particulier les hivernants qui travaillent et vivent dans les bases antarctiques, sont mises à rude épreuve. Isolement, ennui et confinement, associés à de longs mois d’hiver sans soleil et dans un froid abyssal, créent un environnement propice aux conflits. Et pour mettre le feu aux poudres, il suffit parfois de petites choses qui peuvent devenir très irritantes dans ce contexte particulier.
Comme en témoigne dans un article de la BBC, Gabrielle Walker , scientifique et auteure qui a participé à plusieurs expéditions en Antarctique : « Vous savez exactement comment ils posent leur tasse de café et dans quelle direction l’anse pointe ; vous savez qu’ils se grattent le nez trois fois avant de s’asseoir ; vous savez tout d’eux. […] Et dans les mauvaises circonstances, cela peut commencer à vous irriter… parce qu’il n’y a rien d’autre – il n’y a pas d’autre stimulus et vous êtes avec ces gens 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ».
À coup de hache et de couteau
L’incident de SANAE IV n’est pas le premier pour le programme antarctique sud-africain. En 2017, une agression était déjà survenue dans une station sud-africaine, cette fois située sur l’île Marion. Un des membres de l’équipe, pris dans un triangle amoureux, avait démoli à la hache l’ordinateur portable d’un collègue après avoir été éconduit dans sa demande en mariage par une collègue féminine.
Ce genre d’incidents peut prendre une tournure dramatique. Ce fut le cas en 1959 sur la station russe Vostok lorsqu’un scientifique tua son collègue lors d’une partie d’échecs. Persuadé que son adversaire avait triché, il l’avait poignardé à mort. D’après une rumeur persistante, les autorités soviétiques interdirent les échecs au sein des stations antarctiques après cet épisode.
Près de 60 ans plus tard, en 2018, une autre station russe, celle de Bellingshausen, fut le théâtre d’une tentative de meurtre lorsqu’un électricien poignarda de plusieurs coups de couteau l’un de ses collègues. Transportée en urgences au Chili, la victime a pu être prise en charge rapidement tandis que l’assaillant passait dix jours enfermé dans l’église de la station, convertie pour la circonstance en prison de fortune. Tous deux avides lecteurs, l’électricien reprochait à son collègue de lui dévoiler l’intrigue des livres avant qu’il ait terminé de les lire, nourrissant ainsi un climat de tension jusqu’à l’agression.
Et les cas de pétages de plombs ne s’arrêtent pas là. En 1984, le médecin d’Almirante Brown, lassé de voir sa mission prolongée, boutait le feu à la station argentine histoire de forcer son rapatriement, tandis qu’en 1996 deux cuisiniers de la station américaine de McMurdo réglaient leurs comptes à coup de marteau, amenant le FBI à intervenir pour la première fois en Antarctique.
Dans de telles situations, l’isolement géographique des bases et leur difficulté d’accès peuvent devenir des éléments aggravants. L’intervention physique des autorités peut en effet être difficile, voire impossible, selon l’emplacement de la base et les conditions météorologiques. Dans le cas de la station SANAE IV, il ne semble pas que les autorités organiseront une intervention de sauvetage prochainement, privilégiant pour l’heure une démarche de prise en charge et de médiation à distance. ◼️