Ces feux de forêt qui ralentissent le réchauffement climatique

par Mirjana Binggeli
06/06/2025

Alors que les feux de forêt anéantissent la forêt boréale du Canada, une étude met en avant le rôle que ces incendies pourraient jouer dans le ralentissement du réchauffement climatique.

À l’heure actuelle, plus de 200 foyers d’incendie sont actifs dans les provinces du centre et de l’ouest canadien. Cent d’entre eux sont considérés comme étant hors de contrôle. Alors que les populations continuent d’être évacuées et que les communautés autochtones sont touchées de plein fouet, le dégagement de fumée commence déjà à s’étendre au sud et vers l’Europe. Photo : Manitoba Emergency Reports & Notifications / Facebook

Deux millions d’hectares déjà consumés. Plus de 26 000 personnes déplacées. Les feux de forêt qui sévissent actuellement au Canada auront démarré très fort cette année. Et très précocement aussi, faisant craindre le pire pour cet été. Le Canada garde encore les séquelles des feux de 2023 qui avaient ravagé plus de 17 millions d’hectares et fait suffoquer le voisin américain jusqu’à la Nouvelle-Orléans avant de toucher l’Europe. On se souvient d’ailleurs encore de ces images surréalistes d’un ciel new-yorkais devenu orange, preuve d’une qualité d’air dégradée. 

Alors que chaque été l’Arctique se consume sous l’influence du réchauffement climatique, une nouvelle étude montre que les incendies pourraient ralentir le réchauffement global. 

Publiée mardi dernier dans Proceedings of the National Academy of Sciences, une équipe de chercheurs de l’Université de Washington et de l’Université de Louvain en Belgique révèlent les détails de ce paradoxe qui tient à une fréquence sous-évaluée des incendies qui touche les régions arctiques. 

L’ampleur des incendies en Sibérie et au Canada s’est intensifiée au cours de la dernière décennie. En 2019 et 2021, des périodes particulièrement critiques ont vu des flammes détruire des millions d’hectares de forêts. Les incendies de 2023 ont été parmi les plus destructeurs, notamment en raison de la chaleur extrême et de l’intensité des vents. Ces incendies sont directement alimentés par les effets du changement climatique : des températures estivales plus élevées, une réduction de la couverture neigeuse au printemps, et un déclin rapide de la glace de mer. À cela s’ajoute un sol plus sec, facilitant la propagation des flammes. Cette tendance inquiétante devrait se poursuivre dans les décennies à venir, selon les projections des climatologues.

Jusqu’à récemment, les modèles climatiques internationaux n’avaient pas suffisamment pris en compte l’augmentation de l’intensité et de la fréquence de ces incendies. Le modèle climatique CMIP6, utilisé pour prévoir l’évolution du climat jusqu’en 2100, avait supposé que ces incendies resteraient relativement constants et à faible intensité. Or, les événements récents montrent une réalité différente, marquée par des pics d’incendies en 2019, 2021 et 2023. En réponse à cette réalité, l’équipe de l’Université de Washington a recalibré ses projections, intégrant une hausse significative des incendies boréaux jusqu’en 2060. Résultat : l’augmentation des incendies boréaux ralentirait le réchauffement climatique de 12% à l’échelle mondiale et de 38% dans l’Arctique.

Comparaison des émissions de carbone noir provenant des incendies de forêt boréales. La ligne rouge montre les émissions réelles enregistrées. La ligne bleue pleine correspond à l’estimation du modèle CMIP6 et la ligne bleue pointillée est l’estimation ajustée en fonction de la récente augmentation des incendies. Graphique : Blanchard-Wrigglesworth et al. /PNAS

Bien que la combustion des forêts libère une grande quantité de dioxyde de carbone, contribuant au réchauffement climatique, la fumée produite par ces incendies joue, étonnamment, un rôle refroidissant. Les aérosols présents dans cette fumée ont la capacité de réfléchir la lumière du soleil, en éclaircissant les nuages. Cette réflexion réduit l’irradiation solaire sur la surface terrestre, particulièrement dans les régions septentrionales. Ce phénomène entraîne une baisse des températures estivales dans l’Arctique, ralentissant la fonte des glaces marines et contribuant à un refroidissement temporaire de la région.

L’effet est d’autant plus marqué en hiver. Les incendies, en obscurcissant une partie du ciel estival, rendent l’Arctique plus froid, ce qui permet à la glace de mer de rester plus épaisse et de durer plus longtemps durant les mois d’hiver. Cette dynamique conduit à un effet de rétroaction négatif, où la présence accrue de glace de mer peut ralentir le réchauffement dans la région. 

Toutefois, l’effet ne peut être qu’à court terme car ce refroidissement ne compense pas les effets de réchauffement à long terme des incendies sur le climat global. L’élévation du dioxyde de carbone et des particules de suie, qui se déposent sur la glace et l’assombrissent, contribuent également à la fonte de la glace, ce qui contraste avec l’effet de refroidissement des aérosols.

New York, version orange. Même s’ils se trouvent à des milliers de kilomètres des grandes capitales occidentales, les feux qui affectent les forêts boréales ont des conséquences directes et néfastes sur les régions plus méridionales. Les incendies qui avaient dévasté le Canada en 2023 ont provoqué des dégagements de fumée tel que cette dernière s’est répandue dans l’atmosphère, dégradant fortement la qualité de l’air. À l’avenir, ces incendies risquent fort de représenter un défi majeur pour des régions et des nations entières. Photo : Metropolitan Transportation Authority, Wikicommons

Les effets de ces incendies ne sont pas limités aux régions boréales. La fumée qui en résulte est transportée sur de vastes distances par les vents et refroidit non seulement l’Arctique, mais également les régions tempérées, jusqu’à la latitude de la Californie du Nord. Elle modifie également les régimes de précipitations tropicales, les poussant vers le sud, car elle perturbe les différences de température entre les hémisphères.

Pas vraiment une bonne nouvelle

À l’échelle mondiale, ces incendies ont des conséquences écologiques et sanitaires significatives. « Il est important de se rappeler que ces incendies croissants ont encore beaucoup d’impacts négatifs sur la santé humaine et sur la biodiversité forestière. », remarque dans un communiqué de presse publié par l’Université de Washington Edward Blanchard-Wrigglesworth, professeur agrégé de recherche en sciences atmosphériques et climatiques auprès de l’université et auteur principal de l’étude. « Et si les incendies continuent d’augmenter, ils pourraient éventuellement brûler à travers les forêts et la tendance pourrait s’inverser. Je ne dirais donc pas que c’est une bonne nouvelle. Mais cela nous aide à mieux comprendre la nature et ces tendances. » Les forêts boréales jouent également un rôle essentiel dans la régulation du climat, agissant comme des puits de carbone. Leur dégradation pourrait aggraver la crise climatique, avec des répercussions mondiales.

Une compréhension nécessaire en particulier en vue d’une gestion de ces incendies. Les chercheurs plaident ainsi pour une prise en compte de l’augmentation des incendies boréaux dans les modèles climatiques et leurs conséquences. « Si l’augmentation des incendies boréaux se poursuit sans relâche au cours des dix ou vingt prochaines années , la société pourrait décider que nous voulons gérer davantage les incendies boréaux. Mais avant d’y consacrer beaucoup de ressources, nous devons essayer de comprendre les conséquences possibles. » 

Une meilleure prise en compte des interactions complexes entre incendies, aérosols, réchauffement et refroidissement est essentielle pour affiner les prévisions climatiques futures. Les données révisées sur les incendies boréaux pourraient aussi aider à adapter les stratégies de gestion de ces incendies, symptôme inquiétant de l’évolution de notre planète.