Alors qu’il vient d’annoncer son retrait de la vie politique, le maire d’Ilulissat a accepté de rencontrer polarjournal.net et de revenir sur son long parcours à la tête de la la 3e ville du pays.
Elle est tout en longueur, au-dessus de l’usine de transformation de poisson et du petit port de pêche. La mairie de la commune d’Ilulissat est aussi le centre administratif de la région Avannaata (le quart nord-ouest du Groenland). Au premier étage, entre les portes et les discussions de bureau, les pavés du sol laissent progressivement place à un tapis. Nous entrons dans le bureau du maire, sous la série de portraits de l’équipe municipale, ou plutôt Palle Jerimiassen nous y convie.
Par sa silhouette massive, il en impose. La cinquantaine, il arbore un large sourire qui lui fend les joues, celui d’une joie enfantine. Il en voit passer du monde autour de la table ronde qui se remplit et se vide chaque jour. Les fenêtres du bureau donnent sur les canots de pêche. Les bateaux rentrent et sortent selon les pulsations de la glace. Un œil sur l’essentiel : le battement de la ville.
Quand il inspire avant de parler, il se gonfle et se grandit en déployant les bras. « Cela fait 28 ans que je travaille en politique, mais je vais devoir me retirer à la fin du mois », explique-t-il, ferme dans sa décision, dans un timbre de voix légèrement nostalgique. La santé n’était pas au beau fixe au cours des 6 derniers mois, le corp a parlé et l’opposition a gagné la mairie aux municipales, début avril.
« Je vais prendre des vacances avec ma famille, je leur ai promis », dit-il, un brin tiraillé. « Ça m’a fait du bien de prendre cette décision. Je pourrai enfin être moi-même et être avec ma famille. » Palle Jerimiassen manœuvre un retour à son activité d’autrefois, une entreprise liée au tourisme.
« Si je dois garder un souvenir de ces années de politiques auquel je serais particulièrement attaché, ce serait bien ceux avec qui j’ai travaillé. Ici, les gens sont indépendants, d’excellents sportifs et des entrepreneurs qui n’attendent pas le gouvernement, qui font les choses par eux-mêmes. » Les gens, en premier lieu, et l’Icefjord Center ensuite. Les plans du centre d’interprétation de la glace et de la culture inuit sont affichés dans le couloir. Il a bien fallu en convaincre du monde pour que ce bâtiment sorte de terre et imprime son cachet tel une estrade sur les pistes de traîneaux, vue sur le fjord.
L’édifice est placé près du site ancestral de Sermermiut. « Les premières histoires qui ont été racontées à propos d’Ilulissat remontent à l’arrivée des Danois à Sermermiut. Les gens étaient très fiers de leurs lieux de vie, parce qu’il y avait beaucoup de possibilités pour la chasse grâce à la glace du fjord. » Vingt et une maisons en tout, et une centaine de personnes. « Ce n’est pas commun au Groenland qu’une centaine de personnes vivent ensemble », explique-t-il. « En accueillant les Danois, les gens de Sermermiut étaient particulièrement fiers de montrer leur mode de vie. »
Aujourd’hui, 5 200 personnes vivent à Ilulissat. Trente pour cent pêchent ou travaillent à l’usine. Cinquante petites compagnies vivent du tourisme. Environ 60 000 personnes visitent la ville chaque année. « Nous allons passer à un autre niveau l’année prochaine avec le nouvel aéroport », affirme-t-il, estimant que la fréquentation pourrait représenter vingt fois le nombre d’habitants. « Nous nous apprêtons à accueillir le monde entier, mais nous ne voulons pas du tourisme de masse. Nous connaissons les résultats en Islande. Nous devons trouver la clé dorée pour que les visiteurs puissent profiter de la nature et de son silence. »
Palle Jerimiassen espère que le modèle touristique qui est en train de se mettre en place sera davantage tourné vers une clientèle argentée. « J’ai visité des villes suisses qui sont fermées au tourisme de masse l’année dernière, et je réfléchis encore à la façon dont nous pourrions nous en inspirer », remarque-t-il. Un petit coup d’œil, puis le regard se fige, une idée émerge : « nous voyons des possibilités, et des gens investissent ».
Un regret cependant, au cours de ses mandats, Palle Jerimiassen aurait aimé qu’une université dédiée au changement climatique voie le jour à Ilulissat. Les effets de ce dernier reviennent souvent au cours des discussions entamées à l’hôtel, au café et à la mairie. Tous se remémorent leur jeunesse en traîneau au mois d’avril, à glisser sur la banquise. « Les Inughuit du Nord sont des chasseurs, mais ils ne peuvent plus l’être parce que la glace disparaît, c’est inquiétant. Avant, on pouvait aller jusqu’au Canada, mais maintenant on peut voir la fin de la banquise depuis les fenêtres de Qaanaaq, et ils ne peuvent plus prendre la grande route. »
L’université n’a pas été acceptée par le gouvernement. Pourtant, des partenaires etrangers étaient intéressées pour collaborer. Des chercheurs du monde entier viennent à Ilulissat pour étudier la glace. « Les scientifiques ont besoin d’un endroit. Il y a le bâtiment du ILLU Science and Art Center, mais nous devons faire quelque chose de plus. Nous avons besoin d’un endroit pour parler et éduquer les jeunes générations. »
Sur le chemin de la sortie, nous parlons de la cabane de Paul-Émile Victor. « Peut-être que la France trouvera l’argent pour la restaurer », dit-il en souriant. Son grand-père a travaillé avec l’explorateur. Il nous parle d’un projet de jumelage entre villes, puis, comme dans une tentative de détachement du personnage qu’il incarne depuis plusieurs mandats, il ajoute : « Mais ça, c’est pour le prochain maire », avant de disparaître dans le bureau du conseil. C.L
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