Jeudi dernier à Bodø, le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, et le Premier ministre norvégien, Gahr Støre, ont officialisé la création d’une base aérienne au nord du cercle polaire. Un tournant stratégique face à la Russie, qui ravive les tensions autour de la militarisation de l’Arctique et le respect des droits autochtones du peuple Sami.
C’est désormais officiel, l’OTAN installera une nouvelle base aérienne en Norvège, à Bodø, au nord du cercle polaire. Jeudi dernier, le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Mark Rutte, s’est rendu dans cette ville stratégique pour sceller une annonce attendue de longue date.
Aux côtés du Premier ministre norvégien Jonas Gahr Støre, il a confirmé que Bodø deviendra le troisième centre de commandement aérien de l’OTAN en Europe, après Uedem (Allemagne) et Torrejón (Espagne).
Ce choix met fin à une longue hésitation entre Reitan, proche de Bodø, et Rygge, situé dans le sud du pays. Le contexte sécuritaire, en constante évolution depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, a clairement pesé dans la décision. Pour Oslo, c’est une étape logique dans une stratégie de renforcement du flanc nord de l’Alliance.
« Depuis 2014, la Norvège a identifié des manques d’infrastructure dans le nord du pays », explique Florian Vidal, politologue à l’université arctique de Norvège, à polarjournal.net. Il ajoute : « le besoin de renforcer cette zone fait sens, notamment au regard des relations avec les États-Unis, la France ou encore le Royaume-Uni. » Loin d’être une surprise, cette implantation s’inscrit dans une trajectoire amorcée il y a une décennie.
Déjà en 2015, Jens Stoltenberg, alors secrétaire général de l’OTAN, avait effectué une visite remarquée à Bodø, participant à des exercices de décollage de F-16. Plus récemment, en 2023, le gouvernement norvégien avait pris des options sur le chantier du nouvel aéroport civil de Bodø, afin d’y intégrer des capacités militaires : hangars et parc de stationnement pour aéronefs.
« La militarisation des terres indigènes »
Mais cette militarisation progressive n’est pas exempte de critiques. La sociologue Laura Junka-Aikio, spécialiste des populations autochtones, rappelle que « le droit international interdit la militarisation des terres indigènes, sauf nécessité absolue d’intérêt public, et encore faut-il que les communautés concernées y consentent. » Les Sami, peuple autochtone du nord du nord de l’Europe, redoutent les effets de cette présence accrue sur leurs terres ancestrales et leurs modes de vie traditionnels.
Le Premier ministre norvégien a néanmoins justifié ce virage stratégique. Lors de la conférence de presse organisée à Bodø, il a insisté sur l’évolution du contexte géopolitique : « l’évaluation de la sécurité et l’importance du déplacement des infrastructures de l’OTAN vers le nord ont été déterminantes. » Il a également évoqué l’ouverture croissante des routes maritimes arctiques et la montée en puissance des activités russes et chinoises dans la région.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’OTAN accélère sa redéfinition stratégique dans les pays nordiques. Même si des accords de cessez-le-feu venaient à être signés, les regards se tournent déjà vers l’après. « Les responsables militaires estiment que la priorité russe, à terme, pourrait être l’Europe du Nord », précise Florian Vidal. « Moscou envisagerait le déploiement de 50 000 soldats entre Saint-Pétersbourg et Mourmansk. Cela prendra du temps, sans doute cinq ans, cela laisse du temps à l’OTAN pour établir dès aujourd’hui ses futures positions. »
Cette anticipation se heurte toutefois à une réalité juridique héritée de la Guerre froide. Le comté norvégien du Finnmark, frontalier avec la Russie, reste soumis à un accord de non-militarisation.
Les radars aériens de l’OTAN doivent ainsi contourner la zone. « Il existe des pressions pour lever cette restriction », note le chercheur, ce qui pourrait provoquer de nouvelles tensions avec le Kremlin.
L’annonce de la base de Bodø ne manquera déjà pas de raviver les inquiétudes russes. Mais selon Florian Vidal, la levée de la neutralité du Finnmark serait une mesure bien plus sensible encore pour Moscou.