Lors de la 43e réunion de la Commission CCAMLR, qui gère les ressources marines vivantes de l’Antarctique et qui s’est achevée le 25 octobre, la divergence de vision entre la conservation de l’environnement et la pêche durable s’est heurtée au fait qu’aucun accord n’a été trouvé sur l’avenir de la pêche au krill.
D’une part, une proposition de zone marine protégée autour de la péninsule Antarctique et, d’autre part, une modernisation et une augmentation de l’allocation des quotas de pêche.
Pour en savoir plus sur cet évènement sans précédent, nous nous sommes entretenus avec Javier Arata, directeur général d’ARK, l’association des entreprises pour une pêche responsable du krill.
Combien de navires l’association représente-t-elle et quelle proportion de la pêche au krill représente-t-elle ?
Les dix entreprises comptent 13 navires, dont deux n’ont pas pêché au cours des deux dernières années. Deux autres navires ne font pas partie de l’ARK, un russe et un ukrainien. Pour l’instant, ils n’ont pas exprimé le souhait de nous rejoindre et leurs captures sont faibles. L’ARK représente plus de 90 % des captures de krill. Dans les zones de la CCAMLR, la saison de pêche commence en décembre et se termine en novembre ; la saison de pêche 2024 n’est donc pas encore terminée.
Quelle est la biomasse de krill autour de l’Antarctique et quelle est la proportion pêchée ?
On estime qu’il y a entre 350 et 500 millions de tonnes de krill dans l’ensemble de l’Antarctique. Mais il est dispersé. La majeure partie se trouve dans l’Arc de Scotia, qui comprend les îles Orcades du Sud, les îles de Géorgie du Sud et les îles Sandwich du Sud, formant une chaîne d’archipels. Deux évaluations globales ont été réalisées dans cette zone, l’une en 2000 et l’autre en 2019, et elles aboutissent toutes deux à un chiffre similaire d’environ 62 millions de tonnes.
Sur la base de ce chiffre, la CCAMLR a estimé que 5,61 millions de tonnes pouvaient être pêchées dans l’ensemble de la zone 48. Toutefois, la CCAMLR a indiqué qu’il s’agissait d’un quota global pour la zone, mais que comme le krill forme des groupes dispersés qui ne communiquent pas instantanément, il devrait être divisé en unités spatiales plus petites. Entre-temps, la CCAMLR a fixé un seuil de déclenchement, autrement dit une limite de capture de précaution, de 620 000 tonnes. Cette mesure est en place jusqu’à ce que la résolution spatiale de l’estimation du krill soit affinée, de sorte que les captures puissent être réparties sur une plus petite échelle.
En 2008, une étude a montré que la concentration de la pêche dans une seule zone pouvait avoir un impact significatif. En 2009, une nouvelle mesure (CM-51-07) a donc été introduite et le seuil de déclenchement de la zone 48 a été divisé en sous-zones : 1. Péninsule Antarctique, 2. îles Orcades du Sud, 3. Géorgie du Sud et 4. îles Sandwich du Sud. Îles Sandwich du Sud. En réalité, il s’agissait d’une solution plutôt positive, et c’est pourquoi nous avons procédé de la sorte entre 2009 et cette année, tout en estimant les stocks de krill à une plus petite échelle.
Que s’est-il passé lors des dernières négociations de la CCAMLR sur la pêche au krill ?
Cette année, malheureusement, nous ne sommes pas parvenus à un accord sur certains points, que ce soit sur les aires marines protégées ou sur le plan de gestion de la pêche. Le plus grave pour nous s’est produit à la fin de la réunion, lorsque la Chine s’est opposée à la poursuite de la mesure CM-51-07, c’est-à-dire le plan de 2009 visant à subdiviser le quota en sous-zones. Ainsi, l’année prochaine, le seuil de captures s’appliquera à l’ensemble de la zone 48. Globalement, c’est peu, mais si vous ne pêchez qu’à un seul endroit, cela représente une quantité relativement importante.
Quels sont les motifs de ce désaccord ?
Il s’agit d’une question politique et non scientifique. Les membres de la CCAMLR ont estimé que le rapprochement du nouveau plan de pêche au krill, qui intéresse les pays pêcheurs dont la Chine, et de la proposition d’AMP, qui intéresse de nombreux autres pays comme les États-Unis, l’Union européenne, le Chili et l’Argentine, permettrait de discuter de la question de la pêche tout en travaillant ensemble.
Nous nous sommes réunis en juillet dernier en Corée pour élaborer ces accords avant la réunion de la CCAMLR. Il semblait que les progrès aient été réels, un accord a été conclu qui paraissait satisfaire les deux parties, un quota de capture acceptable a été maintenu pour la zone, subdivisée en unités plus petites, et un plan pour une aire marine protégée avec des fermetures permanentes et des fermetures saisonnières en été pendant la saison de reproduction des otaries à fourrure et des manchots avait été élaboré.
Quel est ce nouveau plan de pêche au krill qui n’a pas été adopté ?
En 2022, une estimation à plus petite échelle du quota de krill dans la péninsule antarctique a été réalisée. Nous étions assez satisfaits car, d’une part, la CCAMLR s’orientait vers une stratégie plus moderne, avec des quotas répartis sur des zones plus petites et prenant en compte les besoins en krill des prédateurs, manchots, otaries à fourrure et baleines, et, d’autre part, le secteur se réjouissait de l’augmentation possible des quotas.
En 2023, les données ont été révisées par les groupes de travail. En 2024, le nouveau quota a été réestimé à la baisse, avec la possibilité de se concentrer davantage sur les zones où la flotte opère réellement, c’est-à-dire plus près des côtes que dans l’océan. La CCAMLR, les ONG environnementales et l’industrie étaient satisfaites.
Mais il y avait un autre élément très important dans cette discussion, l’adoption d’une aire marine protégée dans la même zone, ce à quoi la CCAMLR travaille depuis 2002.
En 2009, la première petite AMP a été créée au sud des Orcades du Sud. En 2011, une feuille de route a été créée pour développer des AMP dans toute la zone de la CCAMLR, dans l’ensemble de l’Antarctique. Mais il existe des divergences d’opinion, des différences de vision, principalement du côté de la Russie et de la Chine sur certains aspects. La Chine, en raison de son intérêt particulier pour la pêche au krill, et la Russie, pour des raisons géopolitiques, n’ont pas autorisé l’adoption de nouvelles AMP depuis 2016.
Qu’envisagez-vous pour la prochaine saison maintenant que la mesure CM-51-07 n’est plus en vigueur ?
Il aurait été préférable de le prolonger, comme nous l’avons indiqué lors de la réunion de cette année, nous avons attendu la dernière minute pour que les différents pays négocient. Nous pensons que la subdivision du quota reste la voie à suivre. L’estimation des stocks au niveau local et l’attribution des quotas à des unités spatiales plus petites est ce qui a été convenu au niveau scientifique. La vérité est donc que la CCAMLR nous a mis dans une situation très difficile.
Nous discutons en interne de la nécessité de suivre certaines règles sur la ligne discutée par la CCAMLR jusqu’à présent. Nous travaillons à une solution intermédiaire par rapport à ce qui existe aujourd’hui, c’est-à-dire une seule zone, malheureusement, et à l’établissement de limites de capture par sous-zones sur une base volontaire au sein de l’ARK.
L’ARK représente la majorité de la flotte de pêche au krill et siège en tant que membre observateur aux négociations internationales de la CCAMLR.
Javier Arata suit les progrès de la CCAMLR, transmet les informations à l’industrie et formule des propositions pour les mesures prises par la CCAMLR.
Auparavant, il a travaillé comme scientifique à l’Institut chilien de l’Antarctique sur le thème des zones marines protégées et de leur interaction avec les pêcheries.
Propos recueillis par Camille Lin, Polar Journal AG
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