Contre vents et marées, une équipe de plongeurs a installé des hydrophones à 20 mètres de profondeur pour écouter l’océan à un demi mille nautique de la station Dumont-d’Urville.
« Ouvrir un trou de 80 centimètres dans 1 m 60 de banquise en Arctique, cela pouvait nous prendre 8 heures à la scie et à la tarière manuelle, à quatre ou cinq personnes. Là, à deux, on a percé une ouverture pour plonger en 20 minutes avec une machine inspirée des tarières forestières et adaptée à la glace. L’outil était disponible en Antarctique, c’était le luxe », raconte Laurent Chauvaud, chercheur CNRS et biologiste-plongeur sous glace, à Polar Journal AG, de retour de mission avec l’Institut polaire français, à Brest. « Erwan Amice a développé un prototype de bouteille adapté avec la robinetterie inversée, comme pour les pompiers. On n’a pas eu de problème de givrage. »
Équipé de combinaisons étanches chauffantes et de bouteilles d’air comprimé modifiées, ce dernier a travaillé sous la glace dans une eau à -2°C, pour installer un observatoire acoustique sous-marin non loin de la station polaire française Dumont-d’Urville. Averti par de mauvaises augures, ce dernier n’a pas reçu les faveurs de Poséidon, mais a tout de même réussi à positionner un observatoire provisoire.
« Je n’ai pas eu beaucoup de chance », nous a-t-il dit. « Nous sommes partis le 30 novembre… tout allait bien jusqu’à l’embarquement sur l’Astrolabe à Hobart, après 25 heures de vol. » Le navire militaire ravitailleur français en Antarctique s’est retrouvé bloqué par la ceinture de glace qui gravite autour du continent. Cinq à sept jours suffisent habituellement pour rejoindre la station, mais là, « on a mis 14 jours », nous explique-t-il. Le navire tapait dans la glace pour se frayer un chemin. L’ambiance était vraiment polaire et aventureuse, mais pour Laurent Chauvaud, « c’était un peu longuet. On savait, à ce stade, que si l’on perdait une semaine de travail sur place, il faudrait encore composer avec les conditions de mer et de glace dans ce coin du monde, qui sont somme toute prévisibles à cette période de l’année. »
Continuant son périple, un second châtiment s’abat sur l’équipe de plongeurs. Deux de ses collègues ont dû être évacués pour des raisons médicales et personnelles. Laurent Chauvaud se retrouve alors seul, et la législation française n’autorise les travaux sous-marins qu’en présence d’autres plongeurs professionnels. Le biologiste rencontre alors Gérald Malaussena sur la base, qui est aussi scaphandrier. Les affaires reprennent.
« J’avais prévu un éventuel échec du déploiement d’un observatoire câblé », ajoute-t-il, un peu souriant. « Ce projet a été repoussé d’un an, mais heureusement, du matériel autonome sur batterie était dans nos bagages. On a donc pu installer des capteurs. » Les hydrophones enregistrent aujourd’hui les sons de la mer entre 5 et 16 mètres de profondeur, mais sans que les scientifiques aient un accès direct aux enregistrements. Il faudra attendre la prochaine mission.
Les plongeurs les ont installés dans un cratère de cent mètres de diamètre ouvert. « L’endroit ressemble à un petit amphithéâtre romain, la roche est en demi-lune », décrit-il. « Au fond, les capteurs sont posés sur une petite plage. » Si les chercheurs ont choisi cet emplacement, c’est pour éviter qu’un iceberg vienne écraser l’installation.
L’état de la mer, les manchots qui se baignent, le sifflement des phoques et le bruit de la glace… le paysage sonore est sous écoute. Autour des hydrophones vivent des étoiles de mer, des ophiures, des vers marins et des éponges. « Une partie des sons vient des invertébrés posés sur le fond, comme celui produit par le piquant des oursins », explique-t-il. « Je n’ai pas pu déployer les capteurs destinés aux bivalves. Les plongées étaient trop chronophages. »
L’installation de l’observatoire est encore financée pour 3 ans, temps qu’il lui reste pour l’améliorer et le câbler. « Ensuite, je ne le gérerai pas, il sera transmis à un institut, comme l’Institut Universitaire Européen de la Mer, par exemple, qui a une vocation d’observation des sciences de l’univers et un axe polaire », précise-t-il.
Laurent Chauvaud en est à sa 20e mission polaire et travaille aujourd’hui essentiellement sur l’impact du bruit sur les invertébrés marins. « Même si on a des informations sur l’impact du bruit sous-marin sur les homards, les coquilles Saint-Jacques, il n’existe pas de législation sur le seuil sonore à ne pas dépasser en France », remarque-t-il. « Il n’y a que pour les mammifères marins qu’il existe des bémols, et pour en apporter, il faut des données scientifiques. »
Camille Lin, Polar Journal AG
La pollution sonore autour de l’Antarctique est-elle réglementée ?
Le laboratoire Amure s’est livré à un état des lieux de la réglementation sur les bruits sous-marins autour de l’Antarctique en septembre dernier, depuis la bibliothèque Lapérouse, juchée sur les hauteurs de l’Institut Universitaire Européen de la Mer, vue sur l’Atlantique.
« Souvent, il y a une réglementation après un impact, mais dans ce cas, il est assez peu tangible, parce qu’il est peu perceptible par l’humain », nous explique Adéla Si Saber Berteletti, diplômée d’une maîtrise en droit international. Cette dernière a examiné plusieurs cadres juridiques pour boucler sa maîtrise avec l’aide d’Anne Choquet, enseignante-chercheuse en droit polaire. « Il n’y a rien à ce sujet dans les textes internationaux sur la pollution marine, tels que MARPOL – qui fait plus écho aux marées noires. Mais, par exemple, les Terres australes et antarctiques françaises [TAAF, ndlr] réglementent le son émis par les instruments acoustiques des scientifiques dans leurs eaux. Ceci ne concerne pas directement l’océan Austral. »
Les conclusions de l’étude d’Adéla Si Saber Berteletti soulignent « l’importance de renforcer les règles en la matière, notamment dans le cadre des évaluations d’impacts sur l’environnement exigées avant toute activité [en Antarctique, ndlr]. » C.L.
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