Exploitation minière en haute mer dans l’Arctique : opportunité pour latransition énergétique – ou menace pour un écosystème fragile ?

par Lisa Scherk
11/21/2025

Croûte de manganèse des grands fonds provenant de zones exploitables :
Matière première potentielle pour les sulfures métallifères et les croûtes de manganèse

L’Arctique recèle des ressources minérales qui deviennent de plus en plus cruciales pour un avenir respectueux du climat. Dans ce contexte, la Norvège est confrontée à une décision aux conséquences considérables : doit-elle ouvrir ses zones abyssales arctiques à l’extraction de sulfures métallifères et de croûtes de manganèse ?

Cette question dépasse largement les intérêts économiques – elle touche à l’avenir de l’un des écosystèmes les plus sensibles de la planète. Le débat intervient à un moment où la demande mondiale en cuivre, nickel, cobalt et terres rares augmente rapidement. Parallèlement, la pression politique s’accroît pour réduire la dépendance de l’Europe aux importations de matières premières.

Quel rôle joue la mer de Barents dans cette nouvelle course aux ressources ?
En 2024, le gouvernement norvégien a lancé une première campagne de licences – une première pour un État arctique. Après de vives critiques émanant d’institutions scientifiques, d’organisations environnementales et d’une partie de l’industrie, le processus a été suspendu. Le principal point de critique : l’absence de données écologiques de référence fiables pour de vastes zones de la haute mer norvégienne, notamment dans la mer de Barents. Cette région abrite des habitats uniques tels que des champs d’éponges et des coraux d’eau froide, dont les fonctions écologiques restent largement méconnues.

L’Institut de recherche marine et l’Institut polaire norvégien réclament la mise en place d’un programme de suivi systématique avant toute décision supplémentaire.

Pourquoi ces ressources sont-elles importantes ?
La transition énergétique est difficilement envisageable sans des métaux comme le cuivre, le nickel, le cobalt et les terres rares. Selon le Forum économique mondial, la demande pour ces matières premières pourrait augmenter jusqu’à 500 % d’ici 2050.

•  Cuivre : essentiel pour les réseaux électriques et les infrastructures de
recharge.
•  Nickel et cobalt : stabilisent les batteries des véhicules électriques.
•  Terres rares : indispensables pour les éoliennes et les moteurs électriques.

Le défi : les gisements terrestres sont limités et leur exploitation s’accompagne souvent de problèmes sociaux et environnementaux majeurs. L’extraction classique entraîne non seulement la destruction des paysages, mais aussi la déforestation, la consommation d’eau, l’érosion des sols et la pollution. Dans certaines régions, des violations des droits humains, comme le travail des enfants, aggravent la situation. Cela renforce l’intérêt pour des sources alternatives, dont les fonds marins arctiques. La question centrale est : l’exploitation minière dans l’Arctique offre-t-elle des avantages durables par rapport aux alternatives existantes ?

Technologie et réalité : où en est l’exploitation minière en haute mer ?
L’extraction de matières premières dans les grands fonds marins est un processus extrêmement complexe qui requiert des technologies de pointe. Le concept de base des méthodes envisagées est connu : les gisements sont cartographiés à l’aide de sonars et de robots sous-marins ; des véhicules télécommandés ou autonomes détachent les croûtes ou dépôts minéralisés du fond marin et les transportent vers des plateformes de collecte. De là, les matériaux sont remontés à la surface, stockés sur des navires, puis acheminés vers des raffineries terrestres.

“We’re not suggesting that this is a zero-impact activity, but what we are suggesting is that the impacts are a fraction compared to the land-based alternatives.”
— Gerard Barron, CEO of The Metals Company on deep sea mining

De nombreuses techniques en sont encore au stade expérimental, et leur efficacité dans des conditions arctiques reste largement incertaine. La composition des fonds marins, les régimes de courants et la biodiversité diffèrent fortement entre des régions comme le Pacifique et l’Arctique – les résultats obtenus dans une zone ne peuvent être transposés à une autre.

Les principaux défis concernent :
•  la navigation et la stabilisation précises en conditions arctiques
•  l’infrastructure énergétique et logistique à grande distance des côtes
•  le contrôle fiable et la limitation des panaches sédimentaires
•  le retour des eaux de procédé en profondeur

Quels risques écologiques ?
Les grands fonds arctiques sont considérés comme particulièrement sensibles, et les spécialistes de la recherche marine et de la conservation alertent sur des dommages irréversibles, en mettant l’accent sur trois points :

•  Destruction des habitats benthiques tels que les champs d’éponges, les coraux d’eau froide et les structures sulfidées influencées par les microbes
•  Dispersion étendue des panaches sédimentaires, dont le comportement dans les systèmes de courants arctiques reste peu étudié
•  Taux de régénération extrêmement lents : les croûtes de manganèse ne croissent que de quelques millimètres par million d’années, et les communautés biologiques des sulfures massifs se rétablissent tout aussi lentement

“Mining will cause permanent damage to those ecosystems and it will remain impossible to assess the full extent of those impacts, let alone control them.”
— Kirsten Young, Greenpeace

Comment réagissent la politique et l’industrie ?
Le gouvernement norvégien soutient qu’une exploitation minière en haute mer bien réglementée pourrait contribuer à sécuriser l’approvisionnement de l’Europe en métaux critiques. Parallèlement, un large éventail d’organisations environnementales, de chercheurs et d’acteurs industriels appelle à la prudence.

Fait notable : des entreprises comme BMW, Volvo ou Google ont annoncé qu’elles ne s’approvisionneraient pas en matières premières issues de l’exploitation minière en haute mer pour le moment, invoquant le manque de données scientifiques et les risques réputationnels. Des institutions scientifiques telles que GEOMAR, NINA et UiT soulignent l’incertitude concernant les effets cumulatifs dans un écosystème déjà fragilisé par le réchauffement et l’acidification des océans.

Quelles alternatives et solutions ?
Le débat sur l’exploitation minière en haute mer ne porte pas seulement sur les risques, mais aussi sur les moyens de répondre à la demande en matières premières de manière plus durable.

Les approches suivantes sont au centre des discussions :
•  Économie circulaire et recyclage : des systèmes de récupération plus efficaces pour les batteries, l’électronique et les infrastructures anciennes pourraient fournir d’importants volumes de matières secondaires.
•  Amélioration des mines terrestres : des réglementations environnementales plus strictes, de nouvelles techniques d’extraction et de meilleures normes sociales visent à réduire les impacts négatifs.
  Innovations technologiques dans l’exploitation minière en haute mer : si elle devient inévitable, des outils plus précis, des systèmes de pompage améliorés et un suivi environnemental complet devraient minimiser les perturbations.

Le besoin en métaux est indéniable – mais les risques pour les grands fonds marins le sont tout autant. L’exploitation minière en haute mer incarne ainsi le paradoxe central de notre époque : comment réussir la transition vers une énergie respectueuse du climat sans créer de nouvelles pressions écologiques ? La réponse dépendra de la capacité à associer innovation technologique, normes environnementales contraignantes et précaution.

*Cet article a été rédigé à l’origine en allemand.