Le Chili étudie le virus de la grippe aviaire en Antarctique

par Heiner Kubny
11/30/2025

Prélèvement d’échantillons dans une colonie de manchots à jugulaire. (Photo: INACH)

Dans un événement sans précédent pour la science polaire et la virologie mondiale, une équipe de chercheurs de l’Université du Chili et de l’Institut antarctique chilien (INACH) est parvenue, pour la première fois, à séquencer le génome complet du virus hautement pathogène de la grippe aviaire (H5N1) chez des oiseaux antarctiques.

Des chercheurs recueillent des échantillons pour détecter des cas de H5N1 lors d’une expédition scientifique. (Photo: INACH)

Cette découverte, qui constitue la première analyse génétique directe de cette dangereuse variante virale, a été publiée récemment dans la revue Emerging Infectious Diseases, éditée par les Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC). Ce succès marque une étape importante dans la surveillance sanitaire du continent antarctique.

L’étude a été rendue possible grâce au prélèvement d’échantillons lors d’une mortalité massive de grands labbes antarctiques (Stercorarius antarcticus) survenue pendant l’été austral 2024 sur l’île James Ross, dans le cadre de la 60e Expédition scientifique antarctique (ECA 60) organisée par l’INACH. Les travaux ont été dirigés par le Dr Marcelo González Aravena, chercheur au département scientifique de l’INACH, en collaboration avec le Dr. Víctor Neira, professeur à la Faculté des sciences vétérinaires et animales de l’Université du Chili.

Des échantillons de labbes ont été inclus dans l’étude sur le virus H5N1. (Photo: Rosamaria Kubny)

«C’est la première fois que le virus H5N1 est séquencé et caractérisé génétiquement chez des oiseaux antarctiques, ce qui nous permet de comprendre son comportement dans un écosystème extrême, vierge et particulièrement vulnérable», explique Neira, auteur principal de l’article.

Les échantillons ont été traités sur le terrain, puis séquencés à Santiago à l’aide d’équipements portatifs de pointe. Grâce à la technologie MinION d’Oxford Nanopore, l’équipe a réussi à séquencer six génomes complets du virus, tous appartenant à la clade 2.3.4.4b, la même que celle responsable de mortalités massives chez les oiseaux sauvages, les mammifères marins et même les humains sur plusieurs continents.

L’analyse phylogénétique a révélé une forte similitude génétique avec les virus détectés chez les mouettes et les otaries des îles de Géorgie du Sud, confirmant ainsi l’existence d’une route de migration virale entre l’Amérique du Sud et l’Antarctique.

«Cette recherche positionne le Chili comme un leader dans la surveillance génomique des virus émergents dans les régions polaires», déclare González. «À l’INACH, nous nous engageons pour une science antarctique qui ne se contente pas d’observer les menaces globales dans l’écosystème le plus fragile de la planète, mais qui agit et alerte, contribuant à la prise de décision avec des données validées dans ce forum international.»

Víctor Neira: «C’est la première fois que le virus H5N1 est séquencé et caractérisé génétiquement chez des oiseaux antarctiques, ce qui nous permet de comprendre son comportement dans un écosystème extrême, vierge et particulièrement vulnérable.»

L’analyse génétique a mis en évidence des mutations associées à la résistance antivirale et à la virulence, bien qu’aucune mutation d’adaptation aux mammifères n’ait été détectée jusqu’à présent.

Des experts de centres internationaux, dont le Dr Rafael Medina du Emory University Center of Excellence for Influenza Research and Response (États-Unis), ont également participé à l’étude. Ils ont salué le caractère pionnier du séquençage réalisé dans un environnement aussi difficile.

«L’accès précoce aux données génétiques est essentiel pour anticiper le risque de nouvelles adaptations virales. Ce type de surveillance sur le terrain représente l’avenir de l’épidémiologie mondiale», a souligné Medina.

Au-delà de sa valeur scientifique, l’étude démontre qu’avec une technologie accessible, une formation technique et une collaboration internationale, il est possible de produire des connaissances cruciales même dans les régions les plus reculées du monde. Grâce à l’utilisation de plateformes portatives et de méthodes efficaces, le séquençage complet a pu être réalisé avec des coûts modérés et une grande précision.

L’équipe met en garde: compte tenu de la persistence du virus dans la région au cours de la saison 2024–2025, il sera essentiel de renforcer la surveillance de différentes espèces – notamment les manchots, otaries et oiseaux marins – et de surveiller de possibles événements de recombinaison génétique entre les souches antarctiques et sud-américaines, susceptibles de donner naissance à de nouvelles lignées virales.

«Le séquençage de ce virus en Antarctique n’est pas seulement un exploit technique. C’est un signal d’alarme, mais aussi un exemple montrant que des régions du sud du monde peuvent produire une science de haut niveau pour protéger la planète», conclut Neira. Rapport de l’Institut antarctique chilien

Rapport de l’Institut antarctique chilien (www.inach.cl)