Un groupe de recherche vient de créer un modèle qui permet de quantifier le lien entre la glace de mer et les ours polaires, permettant ainsi d’obtenir une évaluation précise de ce qui arrivera aux populations d’ours polaires si la glace de mer continue de diminuer.
Un groupe de chercheurs de l’Université de Toronto à Scarborough a établi un lien direct entre la réduction de la glace mer, provoquée par le réchauffement climatique, et le déclin des populations d’ours polaires.
Si l’affirmation ne semble rien avoir de nouveau, le modèle mis en place par les scientifiques représente une réelle avancée car il permet désormais de quantifier le lien entre la glace de mer et les ours polaires.
Les chercheurs ont en effet développé un modèle bioénergétique qui suit l’ours polaire tout au long de sa vie et en ont publié les résultats dans une étude parue le 30 janvier dernier dans Science. Ce modèle prend en compte l’énergie entrante (absorption de calories) et l’énergie sortante liée aux activités de chasse, de reproduction, de croissance et de déplacement. Des données essentielles. « La quantité d’énergie ingérée par rapport à la quantité d’énergie utilisée détermine la graisse d’un individu, ce qui décide à son tour si un ours peut se reproduire avec succès, élever une progéniture et même survivre », explique le Dr. Louise Archer, chercheuse postdoctorale à l’Université de Toronto à Scarborough et auteure principale de l’étude, dans un communiqué de presse publié par Polar Bears International qui a participé au financement des recherches d’Archer.
Le modèle développé par Archer et ses collègues suit le cycle de vie d’un individu, du stade d’ourson à celui d’ours adulte. Un modèle complet que les chercheurs ont comparé aux données de surveillance effectuées sur la population d’ours polaires de l’ouest de la baie d’Hudson entre 1979 et 2021.
Et les résultats sont sans appel : la population d’ours polaires de l’ouest de la baie d’Hudson a diminué de près de 50% entre 1979 et 2021. Et ce n’est pas seulement la population qui a rétréci. Les animaux aussi ont vu leur masse fondre. Les femelles ont en effet perdu 39 kilos sur la même période et les oursons d’une année 26 kilos.
« Notre modèle va un peu plus loin que de dire qu’il existe une corrélation entre le déclin de la glace de mer et le déclin démographique », remarque Péter Molnár, professeur agrégé au département des sciences biologiques de l’Université de Toronto à Scarborough et co-auteur de l’étude, dans un communiqué de presse publié par l’université le 31 janvier dernier. « Il fournit un mécanisme qui montre ce qui se passe lorsqu’il y a moins de glace, moins de temps d’alimentation et moins d’énergie dans l’ensemble […] Lorsque nous exécutons les chiffres, nous obtenons une correspondance presque individuelle avec ce que nous voyons dans la vie réelle. »
Et comme le modèle se base sur les apports et les dépenses d’énergie, il pourrait être adapté pour analyser d’autres espèces.
La glace, le phoque et l’ours
Les ours polaires sont des animaux extrêmement bien adaptés à l’environnement extrême de l’Arctique. Ils sont aussi des prédateurs ultra spécialisés dont le régime alimentaire dépend largement du phoque que les ours chassent sur la glace de mer. En l’absence de cette dernière, qui tend à se réduire de plus en plus en raison du réchauffement climatique, les ours polaires retournent à terre où ils sont contraints de trouver leur pitance comme ils le peuvent.
Le problème est que la nourriture ainsi trouvée ne suffit pas à répondre aux besoins énergétiques, importants, des ours polaires. Ces derniers se retrouvent alors en situation de jeûne. Si la glace de mer se reforme rapidement, les ours polaires peuvent retrouver leur terrain de chasse et combler le déficit engendré par le jeûne. Mais si la glace de mer se forme tardivement, les ours passent plus de temps à terre et leur jeûne se prolonge d’autant plus, entraînant des périodes de chasse plus courtes.
Cette situation n’a pas seulement un impact sur les ours adultes mais aussi sur les oursons qui reçoivent moins de lait et un lait moins riche en calories de la part de mères qui peinent déjà à couvrir leurs propres besoins énergétiques. De quoi mettre la survie des oursons en péril puisqu’ils ne parviennent pas à prendre suffisamment de poids notamment pour affronter une première période de jeûne.
L’une des conséquences est que les mères gardent avec elles leur progéniture plus longtemps, cette dernière n’étant pas assez forte pour survivre seule. Une progéniture qui tend aussi à diminuer, les femelles faisant de moins en moins de petits. Les chercheurs ont ainsi constaté que la taille des portées avait diminué de 11% en quarante ans. Une menace directe pour la santé d’une population, voire pour sa survie.
Un modèle pour l’ensemble des ours
Pour les chercheurs, les conclusions qu’ils ont tiré de leur modèle ne sont pas seulement cantonnées à l’ouest de la baie d’Hudson mais peuvent s’appliquer à l’ensemble des ours polaires de l’Arctique. « C’est l’une des populations d’ours polaires les plus méridionales et elle a été surveillée pendant longtemps, nous avons donc de très bonnes données avec lesquelles travailler », déclare Molnár. « Il y a toutes les raisons de croire que ce qui arrive aux ours polaires dans cette région arrivera également aux ours polaires dans d’autres régions, sur la base des trajectoires de perte de glace de mer projetées. Ce modèle décrit essentiellement leur avenir. »
Un avenir qui se profile de façon plutôt sombre pour une espèce dont la survie dépend d’un environnement qui fond de plus en plus et de plus en plus vite.
Lien vers l’étude : Louise C. Archer et al., Energetic constraints drive the decline of a sentinel polar bear population. Science387, 516-521(2025). DOI:10.1126/science.adp3752
Mirjana Binggeli, Polar Journal AG
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