« Est-il passé trop près, y a-t-il eu une marche arrière trop tardive ? »

par Camille Lin
02/11/2025

Le brise-glace nucléaire 50 Let Pobedy a percuté un cargo dans la mer de Kara fin janvier. Hervé Baudu, professeur de sciences nautiques à l’École Nationale Supérieure Maritime et membre de l’Académie de Marine française nous explique cet incident à son retour du séminaire polaire coorganisé par le Conseil de l’Arctique et l’Organisation Maritime Internationale (OMI).

La collision du cargo Yamal Krechet et du brise-glace d’escorte russe 50 Let Pobedy dans la mer de Kara le 26 janvier dernier a fait des émules sur les réseaux. Qu’en pensez-vous ?

Là, c’est un simple abordage. Il y a effectivement un choc à l’avant et au niveau de la grue, sans doute dû à une erreur du brise-glace, mais finalement, ce n’est que de la tôle froissée. Est-il passé trop près, y a-t-il eu une marche arrière trop tardive ? Le choc a dû être violent car l’impact sur le brise-glace russe est assez important. On voit que la glace a été cassée dans le sillage du cargo qui s’est refermée rapidement. Je pense que le cargo était escorté et qu’il a fini par être freiné par trop de pression exercée par la banquise. Je me demande s’il n’y avait pas plusieurs bateaux dans le convoi, mais l’histoire ne le dit pas. On voit simplement que le cargo est immobilisé.

Le navire Yamal Krechet transporte des conteneurs. Capture d’écran : Ship Of Legend / YouTube

Pour le dégager, soit l’escorteur passe près de lui avec une route parallèle pour briser la glace et relâcher la tension exercée sur la coque, et si ce n’est pas suffisant, il tourne autour du navire immobilisé. En se présentant, sa route était très convergente, soit parce qu’il n’a pas mis assez d’angle de barre, ou parce que la glace était trop épaisse, soit parce qu’il s’est fait surprendre et n’a pas pu mettre les machines en arrière à temps.

Dégâts causés par le choc dans la coque. X : Dmitry Gorchakov

Dans la Baltique, ce genre d’incident n’est pas rare. Ce ne sont que des manœuvres qui résultent des savoir-faire des marins. Cela n’entraîne pas nécessairement de nouvelles réglementations, au mieux des enquêtes nautiques qui concernent les Etats du pavillon. Pour le groupe de travail sur la sécurité de la navigation et sur la Protection de l’environnement marin en Arctique (PAME) du Conseil de l’Arctique auquel je participe, c’est un non-sujet.

Vous revenez justement d’un séminaire sur la navigation polaire qui s’est tenu les 23 et 24 janvier derniers au siège de l’OMI à Londres. Y a-t-il du nouveau concernant la sécurité en mer en espace polaire ?

Pas de sujet vraiment nouveau. Quelques discussions autour des sources vers lesquelles se tourner pour répertorier les accidents. Par ailleurs, la croisière n’a pas été particulièrement ciblée. En revanche, un groupe de travail propose une révision du Code Polaire pour élargir les formations à la navigation dans la glace à certains personnels d’exécution et de la machine.

During her research, Dr Nicole Taylor also ventured into the engine room of the SA Agulhas II where seasickness is, perhaps, more likely be induced. Photo:
SA Agulhas II engine room. Photo: Jesslyn Bossau

Quelles sont les orientations reprises par l’OMI dans les zones polaires ?

Le séminaire a eu lieu en amont du changement de présidence au sein du Conseil de l’Arctique. En mai prochain, la Norvège cédera la place au Danemark. Le moment est donc venu de faire le bilan des projets réalisés au sein des groupes de travail et d’en ouvrir de nouveaux. Cela a permis d’en relancer certains en plénière pour sensibiliser l’auditoire au niveau de l’OMI. À l’instar de ce qui avait été fait l’année dernière par le groupe de travail avec la mise en place de mesures sur le bannissement des émissions de soufre et l’utilisation du fioul lourd.

Image : OMI / Arctic Council

Il est bon de voir que l’OMI est en phase avec les projets des groupes de travail du Conseil de l’Arctique et s’appuie sur ces derniers pour propulser des dossiers. Quand l’OMI s’intéresse aux régions polaires, elle sait où piocher, et le PAME est un bon vivier. Souvent, notre groupe de travail est une oreille de l’OMI, et parfois, ce sont les mêmes personnes du PAME qui représentent leur pays à l’OMI. Il y a une symbiose, et là, c’était bien de voir les gens en direct. Nous étions environ une bonne centaine de représentants de très nombreux pays et d’institutions. Les Coréens, les Chinois et les Russes se sont également déplacés.

Vous évoquiez des projets environnementaux. L’OMI et le PAME ouvrent-ils de nouveaux dossiers ?

La réglementation du carbone noir n’est pas nouvelle, mais elle est intéressante à noter. C’est un peu un serpent de mer, qui prend un peu d’ampleur. L’association Clean Arctic Alliance pousse vers la réduction des émissions de suies en Arctique. Y aurait-il donc de la part de l’OMI une velléité de s’emparer plus amplement du dossier ? Il avance doucement mais il reste encore à convaincre sur la dimension de son impact sur la banquise.

À noter que les carbones noirs proviennent de la combustion de combustibles fossiles, du chauffage domestique et du transport maritime, et ils peuvent être transportés sur de longues distances. X : Clean Arctic Alliance

Ensuite, il y a un autre sujet impactant, car il concerne directement les communautés locales, ce sont les nuisances causées par les bruits rayonnés [sous-marins, ndlr]. Un projet est financé au niveau du groupe de travail PAME. Plusieurs études sont conduites pour apporter des mesures sérieuses et crédibles, sur l’impact de ces nuisances sur les zones de reproduction des narvals par exemple, en ciblant des zones qui débouchent sur des actions concrètes. La création d’un corridor avec réduction de vitesse des navires qui y transitent par exemple.

Communauté de Pond Inlet sur le passage du Nord-Ouest. Image : Michael Wenger

Le projet est porteur parce qu’il a une implication directe avec les usages des populations locales. Il s’inspire de ce qui se fait déjà autour sur la route qui conduit à la mine de fer de Mary River. Il y a du un passage près du petit port de Pond Inlet, où les habitants chassent le narval, et la vitesse du trafic y est limitée à 10 nœuds.

Propos recueillis par Camille Lin, Polar Journal AG

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