Le Nunavut, un éclat dans la grisaille socio-économique de l’Arctique

par Camille Lin
02/18/2025

Le dynamisme économique du nord du Canada n’est pas passé inaperçu des chercheurs du Business Index North lorsqu’ils se sont penchés sur le développement économique de l’Arctique.

Mine d’or de la baie de l’Espoir dans la région du Nunavut. Image : TMAC Ressources

« Les territoires du nord du Canada s’affirment comme des leaders de la croissance, le Nunavut et le Yukon enregistrent d’importants gains de valeur ajoutée brute grâce à la croissance de l’industrie minière et à l’expansion des services publics. Cette situation contraste fortement avec celle de l’Alaska, où la valeur ajoutée brute diminue en raison de l’affaiblissement de ses piliers économiques traditionnels, notamment le pétrole et le gaz », explique Alexandra Middleton, professeure à la Business School de Oulu en Finlande, dans High North News le 24 janvier dernier.

Cette analyse intervient après la parution d’une étude complète sur le développement économique de l’Arctique, intitulée Arctic Value Creation, Employment and Investments, signée par le Business Index North. Elle s’appuie sur 11 indicateurs économiques. Le Nunavut (au Canada) brille dans 6 d’entre eux, et reste toujours bien positionné, notamment pour celui mesurant le niveau de développement social accompagnant l’économie. Cependant, les auteurs précisent qu’ « aucune des 22 régions de l’Arctique étudiées n’a un niveau de durabilité socio-économique élevé où l’économie et le développement sociétal sont mutuellement complémentaires. »


129 075

Nombre d’habitants dans le nord du Canada


Entre 2011 et 2023, le Nunavut est l’une des trois régions qui enregistrent l’augmentation la plus importante de la population, avec l’Islande et le Yukon. Même constat pour les personnes en âge de travailler et les moins de 14 ans. Plus de 10 %, alors que la tendance est à la baisse partout ailleurs en Arctique, comme en Russie à Arkhangelsk ou en Cajanie (Finlande). Les principaux concernés par cette diminution sont les jeunes, qui établissent leur famille en dehors de l’Arctique après leur départ.

Production et tourisme, fers de lance de la valeur ajoutée brute au Nunavut

La création de valeur en Arctique est « diverse et unique », d’après les auteurs, elle est forte dans les secteurs minier, pétrolier, éducatif, du soin et des services. Le Nunavut enregistre la plus grande augmentation de valeur ajoutée brute, soit 5,9 % entre 2017 et 2021, impulsée par l’augmentation de l’industrie productive (+14,4 %) et de l’hôtellerie-restauration (+9,3 %). Le Nunavut est aussi actif dans le secteur des services, mais bien moins que l’Islande et les régions scandinaves, tandis que les secteurs de l’éducation et de la santé déclinent.

Iqaluit est le seul hôpital du Nunavut à pouvoir offrir des lits de soins intensifs. Image : Government of Nunavut

L’emploi bénéficie de l’essor de l’industrie : entre 2017 et 2022, il a progressé de 31,2 % dans le secteur de la production au Nunavut, et a cru de 5,2 % par an tous secteurs confondus. Cette dynamique est la plus forte en Arctique, suivie par celle du Yukon et de Västerbotten, en Suède. La crise du Covid n’a pas trop impacté le marché du travail du Nunavut, qui a gardé un nombre d’emplois en hausse entre 2019 et 2022. Même constat pour le Yukon et Sakha, contrairement aux Territoires du Nord-Ouest.

Cet outil compare l’évolution de l’emploi dans une région avec le développement national, secteur par secteur. Le secteur de la production industrielle est en tête, tandis que les services, y compris les services publics, sont à la traîne. Graphique : Camille Lin / Flourish

Le Nunavut compte parmi les régions où la balance entre développement économique et durabilité sociale est équilibrée, selon les critères de l’étude. Notamment parce que la création de valeur brute profite à la création d’emplois, ce qui est moins le cas en Tchoukotka, en Laponie ou en Alaska.

L’inégalité des revenus a également été mesurée, elle est la plus faible en Norvège puis en Scandinavie. Dans les régions du Canada, ce critère est modéré. Enfin, les régions de Russie et l’Alaska se positionnent en haut de l’échelle.

Une dynamique face aux contraintes de l’Arctique

Même si les marqueurs économiques sont encourageants au Nunavut, ils ne reflètent qu’une dynamique, alors que certaines réalités persistent, comme l’isolement. « Les liaisons aériennes sont chères et compliquées », rappelle le géographe Frédéric Lasserre de l’université Laval, au Québec. Ce dernier souligne également que « l’éducation pour les jeunes demeure un enjeu de taille. »

Le rapport indique que l’éducation devrait être réformée pour mieux s’adapter aux réalités de ces régions. « Si ces questions ne sont pas prises au sérieux, elles se traduiront par une inégalité croissante des revenus et, plus important encore, par une inégalité d’accès à la connaissance et à la technologie. »


5,32 millions

Nombre d’habitants de la zone arctique de l’étude


Tout l’Arctique est fortement dépendant du secteur minier, des hydrocarbures, des minerais ainsi que de l’aquaculture et de la pêche. Les auteurs précisent que l’économie de l’Arctique ne repose pas assez sur la recherche et le développement. « Notre conseil fondamental est d’investir dans la transformation d’une économie axée sur les ressources en une économie de la connaissance au sein de l’Arctique », a écrit Andrey Mineev, meneur de l’étude et chercheur à la Nord University Business School, à PolarJournalAG. Ceci favoriserait l’autodétermination des populations autochtones, le « colonialisme vert » étant également pointé comme l’un des enjeux auxquels font face les populations locales et les écosystèmes.

Camille Lin, Polar Journal AG

Lien vers l’étude : Mineev, A., Bullvåg, E., Ovesen, S., Kovalenko, A., Yevmenchikova, L., Jawhar, S., Kourkouli, M., Middleton, A., Pesamaa, O., Arnaut, J., Everett, K., Hirshberg, D., Natcher, J., Pétursson, P.B., 2024. Arctic Value Creation, Employment and Investments.

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