Rencontre avec Heidi Møller à Ilulissat – s’affranchir pour l’indépendance

par Polar Journal AG Team
05/07/2025

Au début de sa carrière politique, en avril dernier, cette conseillère en entreprise a obtenu le plus grand nombre de voix lors des élections régionales d’Avannaata. Sa vision socio-libérale de l’autonomisation de la société groenlandaise repose sur un traitement en profondeur des affaires sociales, dans une optique de promotion de l’entrepreneuriat et de la prise de responsabilités.

Ce n’est pas sa préoccupation politique principale, mais un sujet qui lui tient à cœur : l’équilibre entre hommes et femmes concernant les conditions de travail, les salaires et les postes. Image : Camille Lin

L’anglais est la troisième langue de Heidi Møller – ainsi que la nôtre. Nous nous sommes rassurés les uns les autres avant de nous asseoir à la table du café/cuisine du centre de science et d’art ILLU (maison en langue groenlandaise) à Ilulissat, où elle est arrivée en taxi.

Entretien en anglais avec Heidi Møller, élue de l’opposition à Ilulissat partie 1. Production, réalisation : Adrien Chevrier / polarjournal.net

La politicienne de 41 ans a fait sa première apparition publique en politique lors des élections locales d’avril dernier, convaincue que l’indépendance du pays passe en premier lieu par l’implication des citoyens dans le débat public.

« On m’avais souvent demandé de me présenter, mais je voulais rester disponible pour ma famille », explique-t-elle à polarjournal.net. Les déclarations de Trump et les affaires minières avec le Danemark ont ajouté du poids à sa décision. Elle a senti qu’elle n’avait plus le luxe de rester en retrait.

Avant la politique, elle a connu l’entreprise. Elle a été agente de trafic pour Air Greenland, assistante de direction chez Halibut Greenland et RH dans la commune d’Ilulissat. Depuis, elle a fondé Isikkivik Consult, sa propre société de conseil en développement des entreprises.

Présente sur les réseaux sociaux, elle conseille, parle de confiance en soi, d’accès aux études, au rythme de la vie quotidienne d’une habitante d’Ilulissat. Elle interroge également ses abonnés Facebook, Instagram et TikTok sur le devenir de la troisième agglomération du Groenland.

La plus plébiscitée

Elle a su convaincre une part considérable des électeurs de la région Avannaata, remportant le plus grand nombre de voix pour un candidat lors des élections. « Beaucoup de jeunes ont voté Demokraatit. Je pense que cela a joué en ma faveur, mais j’ai été heureuse de rencontrer, le jour des élections, des anciens qui m’accordaient leur confiance », nous raconte-t-elle.

Les votes reçus par la candidate, 625, ont pesé lourd pour son camp politique. Il a obtenu 44,9 % des voix, un score en augmentation qui suit la tendance nationale du parti. Malgré l’élan, la mairie a échappé aux dix prétendants socio-libéraux de Demokraatit, battus par une coalition. « Nous sommes un petit parti en nombre de représentants dans notre commune », nous explique-t-elle.

Heidi Møller a bien failli assurer la continuité de Pelle Jeremiassen, également déclaré Demokraatit lors de ces élections, avec qui elle s’affiche légèrement en rupture, en critiquant le manque de vision globale et les solutions de court terme, notamment sur les questions environnementales.

Entretien en anglais avec Heidi Møller, élue de l’opposition à Ilulissat partie 2. Production, réalisation : Adrien Chevrier / polarjournal.net

« Je pense qu’il y a beaucoup de leaders autoritaires et beaucoup d’entre nous ont grandi avec l’idée qu’il ne fallait pas contester les aînés. Beaucoup de choses ont été décidées sans consulter l’opinion publique », a-t-elle expliqué, prônant l’organisation de débats publics. Elle affirme à plusieurs reprises que ce point constitue un pilier fondateur de sa vision, qu’elle fera valoir comme membre de l’opposition, contre le nouveau conseil de Lars Erik Gabrielsen, ainsi que contre les conflits d’intérêts entre l’exercice du pouvoir et les entreprises personnelles.

Pour elle, il est certain que les habitants d’Ilulissat doivent réfléchir à un avenir souhaitable. « Il ne s’agit pas seulement d’argent, de pêche ou de tourisme, on doit être content de vivre là où nous sommes. J’aimerais que mes enfants aient la sensation de vivre chez eux », explique cette mère de deux enfants de 5 et 9 ans. « Je suis née à Ilulissat, j’ai grandi ici et je veux vivre ici quand je serai plus vieille. Il y a trop de personnes âgées qui partent vivre au Danemark parce que les conditions de vie sont plus dures ici. »

Entretien en anglais avec Heidi Møller, élue de l’opposition à Ilulissat partie 3. Production, réalisation : Adrien Chevrier / polarjournal.net

Selon elle, l’indépendance du Groenland relève davantage de la disposition dans laquelle se trouvent les habitants de l’île pour entreprendre ou initier de nouveaux projets, que d’un enjeu immédiat lié à la génération de revenus nécessaires à l’autonomisation et à la sortie du giron danois.

« Ils ont leurs responsabilités à assumer »

« Notre culture et notre perte d’identité sont liées à l’histoire coloniale avec le Danemark, sur laquelle on peut difficilement revenir en arrière. Par contre, on peut penser à un nouveau plan de décolonisation, mais cela ne veut pas dire qu’il faut qu’on se sépare. Nous avons des familles et une histoire communes. Je soutiens l’indépendance, mais pas maintenant. Nous devons trouver une solution avec le Danemark ; ils ont leurs responsabilités à assumer », explique-t-elle, en rappelant que la société groenlandaise est traversée par la criminalité et un fort taux de suicide.

Elle estime que le Groenland doit s’attaquer avant tout aux affaires sociales pour que les Groenlandais, pris par des problématiques familiales, puissent s’émanciper et endosser des responsabilités nationales.

La nouvelle coalition a été élue sur un programme favorisant la population locale concernant les questions économiques. Image : Camille Lin

« Nous devons aider certaines familles avant qu’elles ne soient prises par des problèmes plus graves, comme la dépression. Il faut mettre en place un centre d’aide, pour que certains de nos concitoyens puissent sortir de leurs problèmes et puissent lancer leur compagnie privée, croître et s’autonomiser », explique-t-elle. « Trop de gens comptent encore sur la municipalité et les autorités, mais il y a beaucoup de responsabilités que nous pouvons nous-mêmes endosser. »

Sur tous ces points, elle ne voit pas comment Trump pourrait améliorer le processus d’autonomisation de l’île.

Entretien en anglais avec Heidi Møller, élue de l’opposition à Ilulissat partie 4. Production, réalisation : Adrien Chevrier / polarjournal.net

En revanche, elle se réjouit que les prochaines générations aient fait de l’anglais leur seconde langue : « Ils pourront être plus internationaux et apprendre plus de choses que nous. » C.L