Rétrospective polaire – Compétition pour le krill, nouvelle influence sur la formation de la glace de mer arctique et messages dans la glace

par Polar Journal AG Team
06/23/2025

La rétrospective polaire se penche sur les événements récents survenus dans les régions polaires du monde. Cette semaine, nous nous intéressons à la concurrence entre les animaux et les chalutiers pour le krill, ainsi qu’aux messages à bulles dans la glace.

Les baleines à bosse de l’hémisphère sud ont un régime alimentaire riche en krill. Photo : Adam Ernster

La rétrospective polaire est un effort de collaboration de l’équipe éditoriale de polarjournal.net. Chaque rédacteur choisit un sujet qu’il a trouvé intéressant et important au cours de la semaine écoulée. Les initiales à la fin de chaque section indiquent l’auteur.

Les hommes et les animaux se chevauchent pour récolter le krill

Chalutier pêcheur de krill dans les régions froides de l’océan Austral. Photo : Institut Alfred Wegener

Dans quelle mesure la pêche industrielle au krill empiète-t-elle sur les zones d’alimentation des baleines, des manchots et des phoques ? Publiée le 16 juin dans PNAS, une étude germano-norvégienne analyse pour la première fois 30 000 heures de données sonar enregistrées à bord de plusieurs navires de pêche au krill, dont l’Antarctic Endurance. L’objectif : évaluer l’intensité de la compétition entre l’activité de pêche humaine et les prédateurs naturels de cette espèce clé de l’écosystème de l’océan Austral. Cinq grandes tendances se dégagent :

  1. Les navires de pêche rencontrent régulièrement des phoques et des manchots tout au long de l’année, en particulier dans les îles Orcades du Sud et en Géorgie du Sud.
  2. En Antarctique, les mesures de protection mises en place autour des colonies de reproduction des manchots – notamment une zone tampon de 30 km – poussent les efforts de pêche vers d’autres zones, telles que les Orcades du Sud.
  3. Les îles Orcades du Sud sont en train de devenir un nouveau point chaud d’interactions, mais il n’y a pas de surveillance écologique active des colonies de manchots dans cet archipel.
  4. Un autre problème se pose au cours de l’automne austral, lorsque le pic de la demande de krill coïncide avec le besoin des baleines à bosse de constituer des réserves de graisse avant la migration, ce qui entraîne un chevauchement accru avec l’activité de pêche le long de la péninsule Antarctique.
  5. La campagne de pêche 2025 a débuté en décembre 2024 dans le détroit de Gerlache, à moins de 30 km de la côte, en contradiction avec les recommandations actuelles. La flotte opère habituellement dans les Orcades du Sud pendant cette saison, mais le calendrier a été perturbé par la glace de mer.

Si certaines entreprises de pêche collaborent avec des scientifiques, toutes les décisions réglementaires relèvent de l’autorité de la CCAMLR. L’étude souligne l’urgence de parvenir à un consensus : la durabilité ne dépend pas seulement des volumes de capture, mais aussi d’une compréhension spatiale détaillée de la manière dont les zones marines sont utilisées. C.L.

Un courant inconnu jusqu’à présent influence la glace de mer hivernale dans l’Arctique

Selon une étude menée par l’AWI, la formation de la glace de mer dans la mer de Barents en hiver est influencée par la quantité d’eau de l’Atlantique qui s’écoule vers l’extérieur. Image : Michael Wenger

Une étude récente de l’Institut Alfred Wegener, Centre Helmholtz pour la recherche polaire et marine (AWI) a révélé l’impact significatif d’un courant océanique jusqu’alors peu étudié sur la formation de la glace de mer hivernale dans la mer de Barents. Les résultats, publiés dans la revue Nature Communications, jettent un nouvel éclairage sur les processus complexes qui régissent le rétrécissement de la glace de mer arctique.

Depuis des décennies, les scientifiques observent un recul de la glace de mer arctique, une tendance qui persiste même pendant les mois d’hiver. Ce phénomène est principalement dû à l’afflux d’eaux chaudes de l’Atlantique dans l’océan Arctique. Cependant, la récente étude de l’AWI met en lumière un facteur crucial, jusqu’ici négligé : toute cette eau chaude n’interagit pas directement avec la glace de mer. « La quantité d’eau atlantique qui s’écoule dans la mer de Barents mais qui en repart immédiatement par recirculation peut avoir un impact significatif sur la formation de la glace de mer d’une année sur l’autre, mais aussi à long terme”, explique le Dr Finn Heukamp, auteur principal de l’étude.

L’équipe de recherche germano-américaine a découvert qu’une grande partie de l’eau de l’Atlantique qui pénètre dans la mer de Barents recircule et retourne dans la mer du Nord européenne. Cette « recirculation » a une influence importante et jusqu’ici sous-estimée sur la quantité de glace de mer qui se forme dans la mer de Barents pendant l’hiver. Cette recirculation agit normalement comme une barrière, limitant la quantité de chaleur qui continue vers le nord en direction de la limite de la glace de mer. « Lorsque le flux de retour est plus faible, moins d’eau de l’Atlantique est immédiatement transportée vers l’extérieur. Au lieu de quitter la mer de Barents, cette eau atlantique la traverse et la réchauffe. Il en résulte que moins de glace de mer se forme au cours de ces années et que la glace existante fond plus rapidement », explique le Dr Heukamp.

À l’aide d’une série de simulations de modèles océaniques avancés, les scientifiques de l’AWI ont pu analyser précisément ce système et mettre en évidence un changement critique. Leurs modèles ont montré que depuis la fin des années 1990, la force de ce courant de recirculation a considérablement diminué. L’afflux d’eau atlantique restant relativement constant, cet affaiblissement du flux de retour signifie qu’un plus grand volume d’eau chaude est désormais capable de pénétrer plus au nord et à l’est. Cet afflux de chaleur, jusqu’alors inconnu, contribue directement à la réduction de la glace de mer hivernale dans la mer de Barents, ce qui permet de mieux comprendre les changements rapides qui se produisent dans l’Arctique. M.W.

Du morse dans les glaces de l’Antarctique

Processus de formation de bulles ovoïdes et de bulles en forme d’aiguille piégées dans la glace. Vidéo : K.Shao et al.

Des chercheurs chinois, inspirés par les bulles d’air emprisonnées dans la glace depuis des millénaires, ont développé une méthode inédite pour encoder des messages dans des blocs gelés. Publiée le 18 juin dernier dans la revue Cell Reports Physical Science, leur étude décrit comment il est possible de transmettre des informations en modifiant la taille, la forme et la distribution des bulles d’air dans la glace.

À l’aide d’une plaque froide contrôlée avec précision, l’équipe a réussi à créer des motifs lisibles en morse ou en binaire. Les bulles ovoïdes ou en forme d’aiguille, réparties en couches successives, deviennent autant de caractères. Une fois photographiés, ces motifs sont interprétés par un algorithme qui restitue le message original. Selon les auteurs, ce procédé discret et durable pourrait s’avérer utile dans des environnements extrêmes comme l’Arctique ou l’Antarctique, là où les moyens classiques de stockage sont limités.

Au-delà de cette application à la transmission de messages, les chercheurs entrevoient des usages industriels : créer des lignes de faiblesse dans la glace ou mieux comprendre la formation de bulles dans certains métaux comme l’aluminium. Loin d’être muettes, les glaces ont encore bien des choses à nous dire. M.B.