Unoc 2025 : n’oublions pas les océans polaires !

par Gastautor
06/24/2025

Anne Choquet, de l'université Occidental à Brest, explique pourquoi l'UNOC 25 a oublié les mers polaires et pourquoi elles doivent être traitées sur un pied d'égalité.

Près de 25 fois plus étendus que la France pour l’Arctique, 27 fois pour l’Antarctique, les océans polaires sont les grands oubliés de l’Unoc. Pourtant les enjeux sont les mêmes : aires marines protégées, pollution plastique, pêche illicite et non règlementée, fonds marins. Alors, comment les étudier, les gouverner et les protéger ?

Anne Choquet, Université de Bretagne occidentale


Ces zones éloignées sont des piliers du climat mondial en raison de leur rôle dans le cycle du carbone et leur effet albédo, la réflexion de la lumière solaire par la glace. YongyutKumsri/Shutterstock

Après les États-Unis et le Portugal, la France co-organise avec le Costa Rica la 3ᵉ conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc). L’image d’Épinal de l’ours polaire seul sur un morceau d’iceberg pour illustrer le réchauffement climatique n’est plus à présenter. Elle pose la question : quelles solutions pour les océans polaires ?

Les océans polaires font face aux mêmes défis que les autres océans. Bien qu’ils restent en marge de discussions, ils abritent pourtant une biodiversité unique, et ces zones éloignées sont des piliers du climat mondial en raison de leur rôle dans le cycle du carbone et leur effet albédo – réflexion de la lumière solaire par la glace. Ils sont également extrêmement sensibles à la pression croissante des activités humaines comme la pêche, le transport et le tourisme.

Alors quelle place des océans polaires dans la stratégie de l’Unoc ?

Océans polaires en second plan

L’Unoc est co-organisée par la France et le Costa Rica. Du côté français, Olivier Poivre d’Arvor est l’envoyé spécial du président de la République pour l’organisation de l’Unoc. Sa casquette d’ambassadeur en charge des pôles et des enjeux maritimes le conduit à rappeler régulièrement que le domaine maritime de la France « la positionne comme nation subarctique grâce à Saint-Pierre-et-Miquelon et subantarctique grâce à ses territoires australs et antarctiques ».

L’Unoc vise à renforcer la mise en œuvre l’objectif de développement durable 14 (ODD 14) sur l’environnement marin, avec trois priorités :

  • Œuvrer à l’aboutissement des processus multilatéraux liés à l’océan pour rehausser le niveau d’ambition pour la protection de l’océan.
  • Mobiliser des financements pour l’ODD 14 et soutenir le développement d’une économie bleue durable.
  • Renforcer et mieux diffuser les connaissances liées aux sciences de la mer pour une meilleure prise de décision politique.

Le risque est de voir les océans polaires dilués dans les priorités évoquées, relégués au second plan. En témoigne, par exemple, l’avis de février 2025 du Conseil économique, social et environnemental qui précise expressément ne pas se pencher « sur les activités humaines déployées sur le continent antarctique ou l’océan arctique ».

Pollution plastique

La distance peut laisser croire que certaines pollutions épargnent les pôles. Tel n’est malheureusement pas le cas du plastique. De sources éloignées ou locales, le plastique est observé dans les eaux en Arctique et en Antarctique, entraînant son ingestion par les oiseaux marins.

Nid d’oiseau avec du plastique
Des 51 espèces d’oiseaux marins examinées dans une étude canadienne sur l’ingestion de plastique en Arctique, plus de la moitié était concernée. VladimirMelnik/Shutterstock

L’Unoc peut être un moyen pour pousser des actions ambitieuses contre la pollution plastique. Ces dernières mèneraient à terme les négociations en faveur d’un instrument juridiquement contraignant, comme le proposaient en 2022 les Nations unies dans la résolution 5/14. Tel est d’ailleurs un des enjeux que s’est fixé la France pour ce sommet.

Aires marines protégées

En 2022, la conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique avait adopté le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal. L’objectif : protéger 30 % des océans en 2030.


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L’Unoc peut encourager l’entrée en vigueur de traités internationaux comme cet accord se rapportant à la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale – accord BBNJ. Adopté en 2023, il prévoit la création d’outils de gestion par zone comme les aires marines protégées (AMP).

Lors de l’évènement SOS Océan en mars 2025, le président de la République a fait de la préservation de l’océan une priorité, en fixant pour objectif d’« atteindre 12 % à 15 % des espaces marins grâce à la création d’aires marines protégées d’ici l’Unoc ». À la veille du Sommet, seuls 8 % des mers bénéficiaient de ce statut.

Aires marines protégées de l’Antarctique. Fourni par l’auteur

Au sein du système du Traité sur l’Antarctique, qui est distinct de celui des Nations unies, ont été adoptées, sur le fondement de la Convention sur la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR), des aires marines protégées autour de l’Antarctique. En 2009, le plateau sud des îles Orcades du Sud, en 2016, la région de la mer de Ross et d’autres sont en projet comme la mer de Weddel. Leur création est essentielle pour préserver la biodiversité polaire mais dépend d’un consensus au sein de la CCAMLR, les discussions se poursuivent.

Une impulsion au sein de l’Unoc en faveur de nouvelle Aire marine protégée ne pourra qu’être bénéfique, en particulier pour en développer d’autres dans des régions aussi sensibles que les océans polaires.

Pêche illicite, non déclarée et non réglementée

Il est important d’atteindre les objectifs de développement durable (ODD), en particulier l’ODD 14. Ce dernier vise à conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable. Cet objectif revêt une importance particulière pour les océans polaires qui s’ouvrent de plus en plus à la pêche.

Au nord, la pêche est principalement tournée vers les régions subarctiques. Un accord visant à prévenir la pêche non réglementée en haute mer dans l’océan Arctique central est néanmoins entré en vigueur en 2021. Un moratoire sur la pêche est ainsi imposé ainsi qu’un renforcement de la coopération scientifique.

Dans l’océan austral, les activités de pêche ciblent principalement le krill, la légine australe, Dissostichus eleginoides, et la légine antarctique, Dissostichus mawsoni.

Face au développement, entre les années 90 et le début des années 2000, de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) principalement de la légine et son incidence sur les stocks, la Convention sur la conservation de la faune et la flore marine de l’Antarctique (CCAMLR) ont établi des mesures de lutte sans précédent à la matière, comme le listing des navires pêchant dans cette zone.

Les krills sont des petites crevettes pêchées en nombre dans les eaux froids de l’Antarctique. RLSPhoto/Shutterstock

S’intéresser à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) lors de l’Unoc est essentiel pour promouvoir une pêche durable et responsable dans les eaux polaires. Si un renforcement des contrôles et la coopération entre les États y ont permis de réduire la pêche INN dans les eaux australes, elle reste une menace pour la conservation des ressources marines.

Transport maritime

Face à l’accroissement du trafic maritime en Arctique et en Antarctique avec des navires de recherche, de tourisme, de pêche, un encadrement juridique de la navigation dans les régions polaires s’est traduit par l’adoption du Code polaire. Entré en vigueur en 2017, il établit un recueil international de règles applicables aux navires exploités dans les eaux polaires.

Le développement de technologies propres et de carburants alternatifs est essentiel pour limiter l’empreinte environnementale des navires polaires. En raison de son impact environnemental et de son coût, les opérateurs maritimes cherchent notamment à réduire leur dépendance au fioul lourd. Son transport et son utilisation sont déjà interdits en Antarctique depuis 2010. En Arctique, l’Organisation maritime internationale en a adopté une interdiction progressive.

Toute initiative en matière de transport de décarbonation au sein de l’Unoc permettra de renforcer les efforts engagés par les États pour les régions polaires.

Recherche scientifique au premier plan

À l’heure où les régions polaires sont au cœur des bouleversements climatiques, géopolitiques et environnementaux, la recherche scientifique est plus que jamais cruciale pour comprendre, anticiper et agir.

Lors de sa présentation de l’Appel de Paris pour les glaciers et les pôles adopté à l’occasion du One Planet-Polar Summit en 2023, le président de la République avait annoncé l’investissement d’ici 2030 d’un 1 milliard d’euros dans la recherche polaire.

En avril 2025, Jimmy Pahun, co-président du Groupe d’études : Arctique, Antarctique, Terres australes et antarctiques françaises et grands fonds océaniques de l’Assemblée nationale, avait « réaffirmé son engagement » à demander une augmentation des moyens pour la recherche polaire, à défaut « le gouvernement devra choisir quelle infrastructure de recherche abandonner ».

À l’Unoc a été lancée la Décennie d’action pour les sciences cryosphériques (2025-2034) pour « faire progresser la coopération scientifique et l’action en faveur du développement durable à l’échelle mondiale ». Le 9 juin, la [première prospective sur la recherche scientifique française aux pôles] a également été présentée. https://www.youtube.com/embed/rZj259U-jXc?wmode=transparent&start=0

Mieux comprendre les régions polaires permettra de mieux les protéger. Il est à souhaiter que l’Unoc soit l’occasion d’annonces ambitieuses et concrètes, afin de préserver l’excellence scientifique polaire. Le renforcement effectif de l’Institut Polaire français Paul-Emile Victor (IPEV), opérateur historique et stratégique de la recherche française française et le soutien accru à l’ensemble des chercheurs polaires, en particulier les jeunes, est crucial.

L’Unoc peut constituer un pont idéal entre les chercheurs, la société civile et les acteurs décisionnels pour transformer l’urgence scientifique en actions concrètes. Encore mieux sensibilisé à l’importance stratégique et écologique des océans polaires, il est à souhaiter que les États soient incités à impulser des actions ambitieuses afin de mieux comprendre les régions polaires et adapter des politiques de protection adaptées.

Anne Choquet, Enseignante chercheure en droit, laboratoire Amure (UBO, Ifremer, CNRS), Université de Bretagne occidentale

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.