Rétrospective polaire – La sénatrice de l’Alaska entre glace et pétrole, les débats sur l’Antarctique à Milan et le régime alimentaire des léopards de mer

par Polar Journal AG Team
06/30/2025

La rétrospective polaire se penche sur les histoires récentes des régions polaires du monde. Cette semaine, nous nous intéressons à la sénatrice de l’Alaska confrontée au réchauffement de l’État et à une situation glaciale à Washington, à la 47e réunion consultative du traité sur l’Antarctique et à l’impact du régime alimentaire des léopards de mer.

Les activités gouvernementales et non gouvernementales sont discutées dans le cadre du Traité sur l’Antarctique. Image : Secrétariat du Traité sur l’Antarctique

La rétrospective polaire est un effort de collaboration de l’équipe éditoriale de polarjournal.net. Chaque rédacteur choisit un sujet qu’il a trouvé intéressant et important au cours de la semaine écoulée. Les initiales à la fin de chaque section indiquent l’auteur.

La position solitaire de Murkowski : Une sénatrice déchirée entre la glace et le pétrole

La sénatrice de l’Alaska Lisa Murkowski n’a pas beaucoup de raisons de sourire en ce moment. Image : Arctic Circle, CC BY 2.0

Dans le paysage politique glacial et rigide de Washington, la sénatrice Lisa Murkowski fait figure d’exception. Mais comme elle est originaire du seul État arctique des États-Unis, l’Alaska, et qu’elle le représente, l’atmosphère glaciale n’a rien de nouveau pour elle. Et sa volonté de faire cavalier seul, souvent en opposition directe avec le président Donald Trump et le consensus dominant du GOP, a défini sa carrière récente. Mais cet isolement n’est pas né d’un simple contrarianisme ; il est forgé dans le conflit fondamental de l’État qu’elle représente – un État pris entre les réalités indéniables d’un Arctique qui fond rapidement et d’une économie profondément enracinée dans les combustibles fossiles.

Mme Murkowski gouverne pour des électeurs qui sont les premiers témoins du changement climatique. Les habitants de l’Alaska voient le dégel du pergélisol déformer leurs routes, l’érosion côtière menacer leurs villages et l’évolution de la banquise perturber des modes de subsistance millénaires. Telle est la dure et inévitable vérité de l’Arctique moderne. Pour la sénatrice Murkowski, cela signifie qu’elle doit se battre pour que le gouvernement fédéral investisse dans des infrastructures résistantes au changement climatique et qu’il doit reconnaître les profonds bouleversements environnementaux qui se produisent à la frontière septentrionale de l’Amérique. Ses critiques de la politique fédérale « bâclée » sont celles d’une dirigeante qui sait ce qu’il en coûte d’ignorer ces situations d’urgence au ralenti.

Simultanément, le développement économique, principalement l’extraction de pétrole et de gaz, est le moteur de l’Alaska. Le budget de l’État et ses emplois sont inextricablement liés à l’industrie même qui est souvent citée comme le moteur des changements que connaissent ses électeurs. Lorsque la sénatrice Murkowski défend les priorités énergétiques, elle marche sur une corde raide : elle défend le moteur économique de son État tout en faisant face aux conséquences géopolitiques et environnementales d’une planète qui se réchauffe. Cette double réalité laisse peu de place aux simples positions idéologiques exigées par la politique nationale.

C’est la source de sa veille solitaire. Le refus de la sénatrice Murkowski de s’aligner sur la plate-forme d’un parti qui néglige souvent ces tensions locales complexes est une nécessité politique. Lorsqu’elle rompt avec ses collègues sur des nominations clés ou qu’elle critique l’orientation du parti, elle reflète la position difficile, souvent contradictoire, de l’Alaska lui-même. Son « inconfort » politique, comme elle l’appelle dans un article du Washington Post, est l’incarnation d’un État aux prises avec son identité à une époque de changements monumentaux, contraint de dépendre des ressources de son passé tout en affrontant le climat incertain de son avenir. M.W.

Activité humaine en Antarctique : questions débattues à Milan

Réunions en cours au centre de congrès Allianz MiCo. Image : Secrétariat du Traité de l’Antarctique

Depuis lundi dernier, les réunions consultatives du traité sur l’Antarctique (ATCM) se déroulent à Milan. Les délégations des 29 parties consultatives et des 29 pays observateurs sont en Italie pour délibérer – où seul le consensus prévaut. Des ONG et des représentants du secteur privé suivent également les discussions. Les premières réunions ont eu lieu à Canberra, en Australie, en 1961. Elles ont lieu chaque année depuis 1994, dans l’ordre alphabétique des parties consultatives. En 2024, l’Inde accueillera l’ATCM.

Le rejet de la proposition d’inscrire le manchot empereur à l’annexe A-II (espèces spécialement protégées) du protocole de Madrid (1991) a été une grande déception. L’otarie à fourrure ayant été retirée de cette liste en 2006, il ne reste plus que le phoque de Ross. La dernière publication du British Antarctic Survey a relancé le débat cette année, en montrant que le déclin du manchot empereur est encore plus dramatique qu’on ne le pensait.

Si la classification est importante pour des pays comme la France, l’Allemagne et l’Australie, ce sujet ne représente qu’une petite partie de l’ordre du jour de l’ATCM. N’oublions pas que l’année dernière, les Russes ont signalé la disparition d’un de leurs mécaniciens, désorienté par un vent catabatique à la station Mirny. Les équipes logistiques s’inquiètent de l’épidémie de grippe aviaire qui touche la faune sauvage du continent depuis près de deux ans.

L’équité, la diversité et l’inclusion sont des thèmes clés dans le recrutement pour les stations scientifiques, tout comme la réduction de l’empreinte environnementale de la science en Antarctique. À cet égard, la proposition de réglementation de l’activité touristique suscite beaucoup d’impatience. L’association des opérateurs IAATO est proactive à cet égard et continue de mener une politique d’autorégulation. Les ONG, pour leur part, plaident en faveur d’une approche temporelle et spécifique aux sites pour les visites en Antarctique et ont salué l’année dernière, en Inde, le fait que les parties se penchent sur la question.

Les discussions sont riches, mais trop éloignées des oreilles des médias, comme le note le Daily Maverick. En effet, d’abord confidentielles, elles ne sont rendues publiques que plusieurs mois après les débats. A Milan, la retransmission de la séance d’ouverture reste cependant une affaire à suivre, et au vu de l’ameublement fourni à certains observateurs, on peut s’interroger sur l’engagement réel du gouvernement Meloni pour l’avenir de l’Antarctique. C.L.

Phoques léopards : des généralistes en apparence, des spécialistes en action

Super-prédateur antarctique, le phoque léopard révèle un régime alimentaire aux conséquences inattendues. Photo: Renato Borras-Chavez

Longtemps considérés comme des prédateurs généralistes, les phoques léopards révèlent aujourd’hui un tout autre visage. Une étude menée par des chercheurs de Baylor University et de l’Université du Rhode Island, en collaboration avec le Georgia Aquarium, démontre que ces redoutables chasseurs de l’Antarctique sont en réalité des spécialistes à l’échelle individuelle.

Publiée le 23 juin dans la revue Ecology and Evolution, le 23 juin dernier, l’étude s’appuie sur l’analyse isotopique de 46 moustaches prélevées sur 34 phoques léopards vivant dans la péninsule Antarctique occidentale. Ces vibrisses, véritables archives biologiques, enregistrent les signatures chimiques des proies ingérées au fil du temps. Les chercheurs ont ainsi pu reconstituer dix années de régimes alimentaires. Résultat : près de 60 % des individus analysés se concentrent sur un type de proie bien spécifique, parfois pendant plusieurs années.

Un niveau de spécialisation individuelle est remarquable pour les chercheurs qui soulignent que quelques individus peuvent ainsi suffire à provoquer des impacts majeurs sur certaines populations de proies. C’est le cas au cap Shirreff, où une vingtaine de phoques léopards auraient contribué à l’effondrement de la population locale d’otaries à fourrure, dévorant jusqu’à 70% des petits.

Femelles plus grandes, amateurs de manchots ou d’otaries, mâles se nourrissant de krill ou de calmars : le sexe et la taille influencent aussi cette spécialisation. Certains phoques changent de stratégie d’une année à l’autre, adaptant leur régime aux conditions environnementales.

Dans un contexte de bouleversements climatiques, ces résultats invitent à revoir les modèles de gestion des écosystèmes afin de mieux comprendre le rôle des super-prédateurs dans les équilibres marins. M.B.