Les léopards de mer mâles chantent chaque jour pendant des heures et des semaines, et leurs trilles ressemblent à la structure des comptines humaines. Une nouvelle étude révèle que ces chants d’amour sous-marins peuvent être délibérément simples et répétitifs, ce qui permet aux phoques de se distinguer et de se faire entendre dans les vastes étendues d’eau glacée.
Par Lucinda Chambers, UNSW Sydney et Tracey Rogers, UNSW Sydney
Tard dans la soirée, le ciel de l’Antarctique se teinte de rose. Le léopard de mer mâle se réveille et glisse de la glace vers l’eau. Il y passera la nuit à chanter sous l’eau parmi les blocs de glace flottants.
Pendant les deux mois qui suivent, il chante tous les soirs. Il chante si fort que la glace autour de lui vibre. Chaque chant est une séquence de trilles et de hululements, exécutés selon un schéma particulier.
En première mondiale, nous avons analysé les chants des léopards de mer et constaté que la prévisibilité de leurs motifs était remarquablement similaire à celle des comptines chantées par les humains.
Nous pensons qu’il s’agit d’une stratégie délibérée. Les léopards de mer sont des animaux solitaires, mais les mâles ont besoin de leur cri pour traverser clairement de vastes étendues d’océan glacial, afin de courtiser une partenaire.
Une saison de solos sous-marins
Les léopards de mer(Hydrurga leptonyx) doivent leur nom à leur pelage tacheté. Ils vivent sur la glace et dans les eaux environnantes de l’Antarctique.
Les léopards de mer sont particulièrement bruyants pendant la période de reproduction, qui s’étend de fin octobre à début janvier. La femelle léopard de mer chante pendant quelques heures les jours où elle est en chaleur. Mais ce sont les mâles qui sont les plus bruyants.
Chaque nuit, les mâles chantent en solo sous l’eau pendant 13 heures. Ils plongent dans la mer, chantent sous l’eau pendant environ deux minutes avant de remonter à la surface de l’eau pour respirer et se reposer. Cette routine exigeante se poursuit pendant des semaines.
Un léopard de mer mâle pèse environ 320 kilogrammes, mais il produit des trilles étonnamment aigus, semblables à ceux d’un minuscule criquet.
Au sein d’une population de léopards de mer, les sons eux-mêmes ne varient pas beaucoup en hauteur ou en durée. En revanche, l’ordre et le schéma de production des sons varient considérablement d’un individu à l’autre.
Nos recherches ont porté sur ces chants individuels. Nous les avons comparés à ceux d’autres animaux vocaux et à la musique humaine.
Écouter des chansons de la mer
Les données utilisées dans l’étude ont été collectées par l’un des auteurs de cet article, Tracey Rogers, dans les années 1990.
Mme Rogers a traversé la glace de l’Antarctique en quad jusqu’au bord de la mer et a marqué 26 phoques mâles avec un colorant pendant qu’ils dormaient. Elle est ensuite retournée enregistrer leurs chants pendant la nuit.
La nouvelle recherche a consisté à analyser ces enregistrements afin de mieux comprendre leur structure et leurs motifs. Pour ce faire, nous avons mesuré l' »entropie » de leurs séquences. L’entropie mesure le caractère prévisible ou aléatoire d’une séquence.
Nous avons découvert que les chansons sont composées de cinq « notes » clés ou types d’appels. Écoutez chacun d’entre eux ci-dessous.
Un schéma remarquablement prévisible
Nous avons ensuite comparé les chants des léopards de mer mâles à plusieurs styles de musique humaine : baroque, classique, romantique et contemporaine, ainsi qu’à des chansons des Beatles et à des comptines.
Ce qui a retenu l’attention, c’est la similitude entre la prévisibilité des comptines humaines et les chants des léopards de mer. Les comptines sont simples, répétitives et faciles à mémoriser – et c’est ce que nous avons entendu dans les chants des léopards de mer.
La portée de l' »entropie » était similaire à celle des 39 comptines du Golden Song Book, un recueil de paroles et de partitions de chansons classiques pour enfants, publié pour la première fois en 1945. Il comprend des classiques tels que
- Twinkle, Twinkle, Little Star (Petite étoile)
- Frère Jacques
- La ronde des roses
- Baa, Baa, Mouton noir
- Humpty Dumpty
- Les trois souris aveugles
- Rockabye Baby.
Pour les humains, la structure prévisible de la mélodie d’une comptine est suffisamment simple pour qu’un enfant puisse l’apprendre. Pour un léopard de mer, cette prévisibilité peut permettre à l’individu d’apprendre son chant et de continuer à le chanter pendant plusieurs jours. Cette constance est importante, car les changements de tonalité ou de fréquence peuvent être à l’origine d’une mauvaise communication.
Comme les cachalots, les léopards de mer peuvent également utiliser le chant pour se distinguer des autres et signaler leur aptitude à se reproduire. La plus grande structure des chants permet aux auditeurs de recevoir le message avec précision et d’identifier la personne qui chante.
Une chanson qui évolue ?
Le son des léopards de mer est très différent de celui des humains. Mais nos recherches montrent que la complexité et la structure de leurs chants sont remarquablement similaires à nos propres comptines.
La communication par le chant est un comportement animal très courant. Cependant, la structure et la prévisibilité du chant des mammifères n’ont été étudiées que chez une poignée d’espèces. Nous savons très peu de choses sur ce qui les motive.
Il est important de comprendre la communication animale. Elle peut améliorer les efforts de conservation et le bien-être des animaux, et fournir des informations importantes sur la cognition et l’évolution des animaux.
La technologie a évolué rapidement depuis nos enregistrements effectués dans les années 1990. À l’avenir, nous espérons retourner en Antarctique pour enregistrer et étudier davantage, afin de mieux comprendre si de nouveaux types d’appels sont apparus et si les modèles de chant des léopards de mer évoluent d’une génération à l’autre.
Lucinda Chambers, doctorante en bioacoustique marine, UNSW Sydney et Tracey Rogers, professeur d’évolution et d’écologie, UNSW Sydney
Cet article est republié de The Conversation sous une licence Creative Commons. Lire l’article original