ILLU Science and Art Hub, un lieu pour les scientifiques, les artistes et les locaux

par Polar Journal AG Team
05/13/2025

Siri Veland (géographe), Skade Henriksen (artiste), Anna Lindal (artiste) et Marie Stougaard Østertorn (étudiante et militante) nous expliquent le principe du centre d’art et de science d’Ilulissat. Portes ouvertes de ce point d’ancrage en forme de clap de fin de notre série dans cette ville groenlandaise.

La parhélie visible sur cette image est commune en Arctique. Image : Camille Lin

Notre série de rencontres à Ilulissat s’achève ici avec la description animée et vivante de la résidence de science et d’art ILLU. Le projet Climate Narrative de l’Université de Bergen nous a accueillis dans cette maison en bois peint orange carotte et au toit noir, sur lequel s’écrasent parfois les boules de neige des enfants qui jouent dans le parc à côté. Ce lieu a été mis sur pied grâce à des fonds norvégiens, du Research Council of Norway, pour que les scientifiques et les artistes ne soient pas simplement des gens de passage. Quand on arrive, il faut se rappeler du code de la boîte à clé, cette dernière ouvre d’autres portes en plus de l’entrée, surtout si vous êtes assidu et suivez les nombreuses conversations qui se nouent entre les occupants et les gens de la localité.

Nous y avons rencontré quatre occupantes et au cours d’un dîner dans la salle commune, elles ont bien voulu se prêter à une table ronde improvisée. Par ordre de première apparition : Siri Veland, Skade Henriksen, Anna Lindal et Marie Stougaard Østertorn. Production et réalisation : Adrien Chevrier / polarjournal.net

Siri Veland – En quête de solutions

Image : Siri Veland

Originaire de Bergen et Bodø, la géographe Siri Veland a mené des campagnes de terrain en Australie, au contact des Yorta Yorta de la vallée de Murray–Darling ou des Premières Nations de Californie, décrivant des savoirs ancestraux pour faire face aux incendies. Des journées de brûlage contrôlé sur des parcelles coupe-feu en Californie et en Norvège lui ont permis d’améliorer la connaissance scientifique sur les méga-feux et d’informer les gestionnaires de ce risque grandissant. Une problématique qui concerne aussi l’Arctique, où Siri Veland cherche les signes de solutions adaptées aux nombreux défis actuels imposés par le changement climatique, qui seraient valables à Ilulissat, à Iqualit ou Longyearbyen.

Au Svalbard, elle étudie l’ouverture de la navigation à de nouveaux espaces ou sur de nouvelles périodes, le tourisme, le développement d’infrastructures et la transition énergétique. Peut-être que des solutions à certaines problématiques existent dans la baie de Disko au Groenland ? À Ilulissat, elle cherche à comprendre comment les gens s’adaptent et comment ILLU met en relations les visiteurs et la communauté. « Souvent, je suis seule lorsque j’ouvre un nouvel espace d’étude », nous a-t-elle expliqué à ILLU, en soulignant que ce lieu lui a facilité les rencontres et la compréhension de la ville. L’oreille attentive, Siri Veland s’est immergée dans les enjeux locaux et a abordé des figures locales telles que Karl Sandgreen, directeur de l’Icefjord Center. Elle note ses observations sur une tablette manuscrite sans perdre de vue ce qui pourrait intéresser ses élèves en Californie.

Skade Henriksen – Au-delà du concept de nature

Image : Skade Henriksen

Skade Henriksen traverse la matière et ses usages, comme lorsqu’elle explore les galeries souterraines d’une mine de graphite en photographies, ou lorsqu’elle extrait une roche du paysage pour l’exposer. L’artiste norvégienne est originaire du Finnmark et n’a pas de mal à remuer les perceptions naturalistes du monde. Skade Henriksen ne nous offre pas la place de spectateur du spectaculaire. Elle nous invite à regarder les reliefs sous-marins, la cime des montagnes, après le processus de transformation de l’échosondeur de navire océanographique ou du dessin d’illustration, chaque regard sur la « nature » fait l’objet d’une variation. Elle s’imprègne de la culture sami, dans laquelle le concept de nature n’est pas très efficace, voire insensé. Une variété de mots existe pour resituer l’être humain dans son environnement, en fonction de la géographie et des relations qui se nouent entre les créatures, les éléments et les phénomènes. Elle nous invite donc à nous positionner sur des nœuds de relations qui habitent le seul mot de nature.

Le prototype artistique de Skade Henriksen a déjà fait ses preuves dans les musées d’art de Norvège – de Kristiansand à Alta – et à l’international. Il devrait encore évoluer grace à une recherche doctorale. En élaboration dans les ateliers de l’Académie d’art de l’université de Bergen, son répertoire d’expression emprunte à la méthode scientifique, à l’architecture, à la sculpture et questionne les traces que laissent les humains derrière eux. Skade Henriksen étudie les possibilités que la culture sami lui offre pour travailler la matière ; si elle y parvient, l’artiste devrait gagner en force conceptuelle et s’imposer dans le paysage artistique comme une nouvelle référence.

Anna Lindal – Du domicile à l’exploration

Image : Camille Lin

Vingt-sept expositions en solo, 80 en groupe et 14 résidences : le chemin d’Anna Líndal est déjà bien tracé. L’œuvre de l’artiste contemporaine islandaise dépasse le littoral de l’île volcanique. Diplômée de plusieurs écoles d’art, de Reykjavik à Berlin en passant par Londres, elle utilise les objets de la vie quotidienne pour créer des installations, tout en ayant recours au dessin et à la photographie. Certaines œuvres empruntent un outil du garage, comme un pied-de-biche, ou d’autres exploitent les couleurs des fils de la trousse de couture. L’artiste interroge la société depuis le domicile, mais ne s’empêche pas d’explorer l’extérieur.

Depuis ses débuts dans l’art, elle s’est jointe à des expéditions scientifiques avec des glaciologues du glacier Vatnajökull et d’autres au Groenland. Elle emprunte alors des instruments scientifiques. Son corps lui sert d’outil, comme pour vérifier si la science ne fait pas fausse route en s’affranchissant des sensations subjectives. Réchauffement climatique et fraîcheur de l’Arctique : elle a combiné les deux sujets en enfilant une combinaison pour s’immerger dans un lac de fonte glaciaire après une avalanche. Elle s’est appuyée sur les résultats des différentes mesures pour dessiner des cartes. Sa démarche interpelle les scientifiques accaparés par leur objectif de recherche, ainsi qu’un public international. Elle donne de quoi sentir le poids du temps, les changements de lumière ou encore l’impact de la cartographie d’un lieu sur l’imaginaire.

Marie Stougaard Østertorn – L’adaptation climatique

Image : Camille Lin

Manifester pour le climat à Copenhague lui permet de mobiliser l’un des plus grands paradoxes que le Danemark doit affronter : une terre qui coule sous la montée des eaux, et l’outre-mer qui s’élève par la fonte des glaciers, comme elle aime l’expliquer. Marie Stougaard Østertorn est une citoyenne danoise convaincue qu’il faut d’ores et déjà penser à l’adaptation climatique. Son voyage à Kalaallit Nunaat est non seulement un terrain pour sa thèse de master Climat et Adaptation de l’Université de Southern Denmark, mais également une réflexion plus personnelle sur la place du Danemark au Groenland et sur le principe de décolonisation. Elle envisage les options réalistes et s’interroge sur l’éthique des solutions à court, moyen et long terme.

Le Centre ILLU de science et d’art lui offre l’occasion d’expérimenter le principe de la diffusion des savoirs scientifiques et artistiques à travers des expositions, des rencontres et des animations. Elle observe l’initiative pour l’améliorer et situe ce lieu sur l’échiquier politique local en rendant visite aux services municipaux, où elle découvre les projets de développement de la ville : l’aéroport, les déchets, le traitement des eaux… Elle accueille des enfants du quartier dans ce lieu déjà bien inscrit dans les habitudes. Ils viennent dessiner, agiter des Rubik’s Cube et se lancent des duels de tic-tac-toe, avant d’y manger des gaufres. Tel un oiseau tisserin, Marie Stougaard Østertorn replace le Centre ILLU de science et d’art au plus proche du mot groenlandais illu pour maison, c’est-à-dire un point d’ancrage dans un réseau local de relations. C.L