En janvier 2025, un événement inhabituel s’est produit dans le tourisme antarctique. Le navire d’expédition d’une compagnie de croisière bien connue a été entièrement affrété par une agence de voyage pour accueillir un voyage « pour adultes », commercialisé sous le nom d' »aventure du 7e continent ». Est-il un signe de l’évolution de la nature des voyages dans cette région unique ? Ce développement a déclenché un débat sur la question de savoir s’il s’agit d’une étape vers une approche plus commerciale, semblable à celle des parcs à thème, du tourisme en Antarctique, ou s’il doit être considéré comme un événement singulier et isolé.
Note éditoriale : Dans cet article, nous nous abstenons délibérément de nommer les entreprises spécifiques impliquées dans cet événement, car notre intention n’est pas de faire de la publicité ou de moraliser la nature de la croisière, mais d’analyser les implications plus larges pour le tourisme en Antarctique.
Une aventure réservée aux adultes
L' »aventure du 7e continent », qui débutera à la mi-janvier 2025, s’adresse spécifiquement aux couples âgés de 21 ans et plus à la recherche d’une fusion entre l’exploration de l’Antarctique et les divertissements pour adultes. Les documents promotionnels annonçaient des soirées à thème, telles que « Nautique coquine » et « Fétiche », ainsi qu’une « salle de jeux » fonctionnant 24 heures sur 24 et des séminaires sur des sujets allant de la non-monogamie éthique au tantra. La croisière promettait une « aventure érotique » avec pour toile de fond la nature sauvage de l’Antarctique.
Sur le plan opérationnel, la croisière, gérée par l’opérateur du navire, a respecté les directives établies par l’Association internationale des tour-opérateurs de l’Antarctique (IAATO). L’IAATO, l’organisme d’autorégulation qui régit le tourisme en Antarctique, impose des protocoles rigoureux visant à minimiser l’impact sur l’environnement et à garantir la sécurité des opérations. Ces directives auraient été présentées à tous les passagers. Bien que des excursions aient été proposées séparément, leur disponibilité indiquait que les visites traditionnelles de l’Antarctique restaient une option, même si elles ne constituaient pas un élément central de la croisière à thème. L’affréteur a noté que l’opérateur du navire était « désireux d’accueillir l’événement », ce qui suggère un intérêt commercial à élargir le spectre des offres de croisières en Antarctique. L’agence de voyage a également mis en place une « politique de règles et de règlements » pour sa clientèle, avec des aires de jeux désignées garantissant que les activités pour adultes soient localisées à l’intérieur du navire.
« Ce qui se passe à bord reste à bord »
Le cadre réglementaire du tourisme en Antarctique est essentiel pour comprendre cet événement. Le cadre réglementaire de l’IAATO concerne principalement la protection de l’environnement et la sécurité lors des excursions et des débarquements. Les activités qui se déroulent exclusivement à bord de navires affrétés ne relèvent pas directement de la responsabilité de l’IAATO, pour autant qu’elles n’enfreignent pas le système global du traité sur l’Antarctique. Normalement, « ce qui se passe à bord reste à bord », tant que les activités n’enfreignent pas les règlements et les lois auxquels l’opérateur du navire est soumis.
L’annonce de cette croisière a suscité une vive controverse, notamment en ce qui concerne son incongruité avec l’environnement sensible de l’Antarctique. Les critiques ont exprimé des inquiétudes quant à la pertinence des « croisières sexuelles » en Antarctique, certains commentateurs estimant qu’elles étaient « profondément répugnantes » et qu’elles pourraient accélérer la « dégradation de la dernière grande étendue sauvage de la Terre ». Ces préoccupations sont amplifiées par l’augmentation du tourisme en Antarctique. Au cours de la saison 2023-2024, l’Antarctique a accueilli plus de 80 000 visiteurs terrestres et plus de 43 000 visiteurs en croisière uniquement, ainsi qu’un nombre plus restreint de visiteurs sur le terrain. Le nombre de visiteurs a été multiplié par dix entre 1990 et 2020, et cette croissance s’accompagne d’une diversification des activités touristiques, notamment le kayak, les sorties en submersible et les excursions en hélicoptère.
Cela soulève des inquiétudes quant aux impacts environnementaux cumulés, notamment les émissions de carbone, les perturbations potentielles de la faune et le risque d’introduction d’espèces invasives. Les recherches indiquent que les activités touristiques peuvent modifier les comportements sociaux et reproductifs des manchots, et que les dépôts de carbone noir provenant des gaz d’échappement des navires accélèrent la fonte des neiges. Un article scientifique récent souligne que certains produits touristiques peuvent contribuer à détourner l’attention des qualités uniques de l’Antarctique, le transformant potentiellement en un « espace de consommation sans lieu ».
Alors que l’IAATO plaide pour un tourisme responsable et met en œuvre des stratégies d’atténuation, certains experts affirment que l’autorégulation pourrait être insuffisante pour protéger les écosystèmes fragiles de l’Antarctique contre les pressions touristiques croissantes. L’UICN souligne que les réglementations existantes ne protègent peut-être pas suffisamment l’Antarctique des impacts du tourisme et appelle à une gestion plus efficace et proactive basée sur la science et les meilleures pratiques.
Parc à thème ou avenir éducatif
La question de la transformation de l’Antarctique en « destination de parc à thème » n’est pas entièrement nouvelle. Par le passé, des discussions ont eu lieu autour des croisières à thème familial, notamment lorsque Disney a annoncé son intention de proposer de tels voyages. Bien que Disney Cruise Line ait lancé des expéditions en Antarctique dans le cadre de son programme « Adventures by Disney », leur interruption apparente dans les années à venir suggère que le tourisme de masse à grande échelle, axé sur la famille et proposé par les grandes marques de parcs à thème, n’est peut-être pas une tendance immédiate et croissante pour l’Antarctique. On peut donc se demander si la récente croisière pour adultes doit être considérée de la même manière, c’est-à-dire comme un événement potentiellement controversé mais finalement isolé, plutôt que comme une étape définitive vers la marchandisation généralisée de l’Antarctique en tant que destination touristique à thème.
Inversement, le tourisme antarctique peut également être considéré comme une force potentielle au service du bien. Il peut offrir des expériences inspirantes et éducatives, favoriser le soutien du public à la conservation de l’Antarctique et créer des « ambassadeurs » pour la protection de la région. L’IAATO met l’accent sur le tourisme responsable et a mis en œuvre des mesures telles que des directives sur les sites d’accueil et des restrictions sur le nombre de visiteurs sur les sites d’atterrissage. Cependant, l’ampleur et la diversification croissantes du tourisme, ainsi que l’empreinte carbone inhérente aux voyages de longue durée vers l’Antarctique (en moyenne 3,76 tonnes de CO2 par touriste), posent des défis importants.
La croisière affrétée, bien que controversée, s’inscrit dans le cadre réglementaire actuel et dans celui de l’IAATO pour le tourisme maritime. La question de savoir si elle marque une transition vers une « destination parc à thème Antarctique » est sujette à interprétation. On peut considérer qu’il s’agit d’un cas isolé, d’un événement de niche tirant parti d’un segment de marché spécifique sans modifier fondamentalement la trajectoire plus large du tourisme en Antarctique. D’autre part, il souligne les tensions inhérentes et croissantes entre les intérêts commerciaux qui cherchent à capitaliser sur l’attrait de l’Antarctique et l’impératif critique de sauvegarder son environnement vulnérable pour les générations futures.
S’il ne s’agit pas d’un exemple de mauvaise conduite, des événements comme celui-ci pourraient à nouveau servir de point critique, suscitant une évaluation et un débat continus sur la gestion durable et l’orientation future du tourisme en Antarctique, y compris des discussions sur les limites potentielles du nombre de visiteurs, des réglementations plus strictes et l’adéquation de l’autorégulation face à l’augmentation et à la diversification des activités touristiques. Certains proposent de considérer l’Antarctique comme un parc national avec des droits d’entrée comme une stratégie de gestion possible. Quoi qu’il en soit, le sujet fera l’objet de nombreuses discussions lors de la prochaine réunion de l’ATCM à Milan, en Italie, et restera d’actualité, qu’il s’agisse d’un thème pour adultes ou non.
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