Le guano de manchots, l’arme secrète pour lutter contre le réchauffement climatique ?

par Mirjana Binggeli
05/23/2025

Une étude met en avant le rôle que les déjections de manchots jouent dans la formation de nuages et du potentiel impact dans la réduction des effets du réchauffement climatique.

Quiconque a déjà approché une colonie de manchots se souvient probablement de l’odeur pestilentielle qui s’en dégage. Pourtant, il semblerait que les déjections des manchots ne servent pas seulement à fertiliser les sols et pourraient jouer un rôle bien plus large. Image : Michael Wenger

Le guano des manchots pourrait jouer un rôle dans la réduction des effets du changement climatique en Antarctique, selon une nouvelle étude publiée hier dans Communications Earth & Environment. L’étude suggère que l’ammoniac libéré par les grandes colonies de manchots Adélie pourrait aider à réduire le réchauffement de la région en contribuant à la formation de nuages, un processus qui influencerait la couverture de glace de mer.

L’écosystème antarctique fait face à des défis sans précédent à mesure que le changement climatique d’origine humaine s’intensifie, en particulier sous la forme du recul de la glace de mer. Les manchots, notamment les Adélie, sont non seulement affectés par ces changements, mais semblent aussi jouer un rôle dans la régulation du climat de la région. En cause, l’ammoniac contenu dans leurs déjections.

Sous-représenté dans les mesures atmosphériques, l’ammoniac constitue en fait un composé clé dans la formation des nuages. Lorsqu’il se combine avec des composés soufrés dans l’atmosphère, il aide à produire des aérosols, ces minuscules particules qui servent de surfaces sur lesquelles la vapeur d’eau peut se condenser formant ainsi les nuages. Ces derniers agissent comme des couches isolantes dans l’atmosphère, réfléchissent la lumière du soleil et piègent la chaleur. Les nuages ont ainsi un effet de refroidissement sur les températures de surface, ce qui peut finalement influencer la couverture de la glace de mer.

Pour arriver à ces résultats, des chercheurs de l’Université d’Helsinki et d’instituts météorologiques finlandais et argentins ont effectué entre janvier et mars 2023 des mesures près de la base Marambio, sur l’île Seymour en péninsule Antarctique. La station argentine est située à proximité d’une grande colonie de manchots Adélie composée d’environ 60 000 individus. Les scientifiques ont mesuré que la colonie a été la source d’une augmentation spectaculaire des niveaux d’ammoniac lorsque le vent soufflait dans sa direction. Par moments, les concentrations d’ammoniac ont atteint jusqu’à 13,5 parties par milliard, soit plus de 1 000 fois supérieures à la valeur de base généralement trouvée dans la région.

Même après la migration des manchots, les concentrations d’ammoniac sont restées élevées, car le guano qu’ils ont laissé derrière eux continuait de libérer du gaz dans l’atmosphère. Fait remarquable, les niveaux d’ammoniac restaient encore plus de 100 fois supérieurs à la norme bien après le départ des oiseaux.

Les chercheurs ont également observé une forte augmentation des particules d’aérosol lorsque le vent soufflait de la colonie. Quelques heures après ce changement de direction du vent, l’équipe a enregistré une période de brouillard, qu’ils attribuent à l’augmentation des concentrations de particules d’aérosol dans l’air.

Si l’ammoniac libéré par le guano des manchots peut effectivement contribuer à la formation de nuages, cela pourrait aider à refroidir les températures de surface de l’Antarctique, ralentissant ainsi la fonte de la glace. Étant donné la rapidité de la perte de la glace de mer dans la région, même de petits changements dans la régulation des températures pourraient avoir un impact sur l’avenir de l’écosystème.

Ce n’est pas la première fois que l’impact de l’ammoniac contenu dans les déjections d’oiseaux marins (ici, des guillemot de Brünnich) sur la formation de la couverture nuageuse est démontré. En 2016, une étude menée sur des colonies d’oiseaux marins d’Alert dans le Nunavut canadien montrait que le guano pouvait avoir un effet significatif de refroidissement. Image : Julia Hager

Bien que cette découverte ne représente pas une solution directe au changement climatique, elle met en lumière la manière dont certains aspects même anodins, comme les excréments des manchots, peuvent jouer un rôle important dans l’équilibre des systèmes climatiques. L’étude montre ainsi que les interactions entre la faune et son environnement sont beaucoup plus complexes qu’on ne le pensait. « Ces résultats soulignent l’importance des processus écosystémiques des colonies de manchots/oiseaux et du phytoplancton/bactéries océaniques sur les processus d’aérosols pertinents pour le climat dans la côte de l’Antarctique. », relève Matthew Boyer, auteur principal de l’étude. « Cela démontre un lien important entre l’écosystème et les processus atmosphériques qui ont un impact sur le climat antarctique, ce qui est crucial compte tenu du taux actuel de changements environnementaux dans la région. »

Alors que le changement climatique continue de menacer l’équilibre fragile de la vie en Antarctique, cette étude rappelle l’importance des interactions entre la faune et l’atmosphère et la nécessité de poursuivre les efforts de conservation pour préserver la biodiversité de la région.