La rétrospective polaire se penche sur les événements récents survenus dans les régions polaires du monde. Cette semaine, nous nous intéressons à un lac caché sous l’inlandsis groenlandais, à la fin d’une autre ère de brise-glace en Antarctique et aux traces d’une ancienne faille entre l’Amérique et le Groenland. .
La rétrospective polaire est un effort de collaboration de l’équipe éditoriale de polarjournal.net. Chaque rédacteur choisit un sujet qu’il a trouvé intéressant et important au cours de la semaine écoulée. Les initiales à la fin de chaque section indiquent l’auteur.
Le drainage caché d’un lac sous-glaciaire au Groenland fait remonter l’eau de fonte à travers la calotte glaciaire
Au cours de l’été 2014, un lac sous-glaciaire jusqu’alors inconnu situé sous l’inlandsis groenlandais s’est vidé en l’espace de quelques jours, avec des conséquences importantes à la surface. Selon une équipe de recherche internationale dont les travaux sont publiés dans Nature Geoscience, l’eau de fonte a été libérée sous une pression si forte qu’elle a fracturé la glace sus-jacente et a éclaté à la surface.
Les données satellitaires montrent qu’en l’espace de dix jours, un cratère d’environ 85 mètres de profondeur s’est formé sur une surface de deux kilomètres carrés. Environ 90 millions de mètres cubes d’eau, soit à peu près l’équivalent de neuf heures de débit maximal des chutes du Niagara, se sont échappés du lac sous-glaciaire.
Ce que les chercheurs ont découvert à quelques kilomètres de là était encore plus surprenant : dans une zone de glace jusque-là intacte, une vaste zone de fracture s’était soudainement formée. Elle couvrait environ 385 000 mètres carrés, soit la taille de 54 terrains de football, et était marquée par de profondes fissures et d’imposants blocs de glace atteignant jusqu’à 25 mètres de haut. L’eau s’est engouffrée dans ces fractures. Une zone de six kilomètres carrés présentait des signes évidents d’inondation par l’eau qui s’en échappait.
L’emplacement de l’événement est tout aussi remarquable : dans une région où les modèles avaient précédemment supposé que la glace au niveau du lit était gelée, ce qui rendait le drainage sous-glaciaire impossible. Cependant, les nouvelles données suggèrent que la pression extrême de l’eau a forcé l’ouverture de fractures le long de la base de la calotte glaciaire, créant ainsi une voie verticale vers la surface. Cela remet en question l’hypothèse de longue date selon laquelle l’eau de fonte se déplace uniquement de la surface vers la base, où elle s’écoule vers l’océan.
Outre la perturbation de la surface, l’inondation a provoqué un ralentissement temporaire mais rapide d’un glacier à terminaison marine situé en aval – une indication claire de la façon dont l’hydrologie basale et les processus de surface peuvent être dynamiquement liés. Les modèles actuels de comportement des calottes glaciaires ne tiennent pas compte de ces inondations verticales ni de leurs conséquences structurelles et dynamiques.
Étant donné que la fonte en surface augmente sous l’effet du réchauffement climatique, ces résultats soulignent la nécessité de mieux comprendre les interactions complexes et réciproques entre les systèmes d’eau de surface et d’eau basale, ainsi que leur capacité à influencer la stabilité de la calotte glaciaire et les projections du niveau de la mer. J.H.
Les États-Unis vont retirer de la circulation leur seul brise-glace de recherche dans l’Antarctique, ce qui suscite une levée de boucliers de la part des scientifiques
La National Science Foundation (NSF) des États-Unis prévoit de mettre fin à la location de son seul brise-glace de recherche antarctique, le Nathaniel B. Palmer, en 2026, en invoquant de sévères coupes budgétaires et la nécessité de donner la priorité à ses trois stations terrestres. Cette décision met fin à plus de 50 ans de présence continue des navires de recherche américains dans l’océan Austral.
Pendant trois décennies, le Palmer a été une plateforme essentielle pour la science américaine, permettant l’accès à des régions éloignées et couvertes de glace et soutenant des recherches cruciales sur le climat, notamment des études sur le « glacier de l’apocalypse » de Thwaites. Sa mise hors service laisse un vide important en termes de capacités.
La solution provisoire proposée par la NSF, à savoir le redéploiement du petit navire arctique R/V Sikuliaq, a été jugée « totalement inadaptée » par les scientifiques en raison de sa capacité limitée et de sa faible aptitude à briser les glaces. Un navire de remplacement spécialement construit n’est pas attendu avant le milieu des années 2030, et le financement de son développement a également été réduit dans la même proposition de budget, créant ainsi une « décennie perdue » potentielle pour la science marine polaire américaine.
Plus de 170 scientifiques ont signé une lettre ouverte pour protester contre cette décision, qui laisse présager un déclin du leadership scientifique américain et cède de l’influence à des concurrents comme la Chine, qui renforce sa présence dans l’Antarctique. La communauté scientifique exhorte le Congrès et la NSF à revenir sur leur décision et à financer un navire de nouvelle génération afin d’éviter un vide stratégique et scientifique à long terme. M. W.
Sous les Appalaches, les traces d’une fracture ancienne entre l’Amérique et le Groenland
Une anomalie thermique enfouie à 200 km sous les Appalaches intrigue les géologues depuis des décennies. Pourquoi trouve-t-on, dans cette région tectoniquement stable depuis 180 millions d’années, une vaste zone de roches anormalement chaudes ? Une étude internationale, publiée le 29 juillet dernier dans la revue Geology, propose une nouvelle explication : cette anomalie, appelée Northern Appalachian Anomaly (NAA), serait le vestige d’un épisode de rift ayant séparé le Groenland et le Canada il y a environ 80 millions d’années.
Selon les auteurs, dont les travaux s’appuient sur des modélisations géodynamiques, de la tomographie sismique et des reconstructions tectoniques, cette zone chaude serait née au niveau de la mer du Labrador avant de migrer lentement vers le sud-ouest, à raison de 20 kilomètres par million d’années. Elle se situerait aujourd’hui sous la Nouvelle-Angleterre, et pourrait atteindre la région de New York dans 15 millions d’années.
À l’origine de ce phénomène, une « vague du manteau », un processus lent où des poches de roche chaude se détachent de la base de la lithosphère, puis se déplacent sous les continents comme des bulles dans une lampe à lave. Ces instabilités pourraient expliquer à la fois certaines éruptions volcaniques inattendues et le soulèvement de chaînes anciennes comme les Appalaches. « La chaleur à la base d’un continent peut affaiblir et enlever une partie de sa racine dense, ce qui le rend plus léger et plus flottant, comme une montgolfière qui s’élève après avoir largué du lest », explique le professeur Tom Gernon, auteur principal de l’étude et professeur en sciences de la Terre à l’Université de Southampton, dans un communiqué de presse publié par l’université.
Les chercheurs avancent également qu’un « jumeau thermique » pourrait se trouver sous le centre du Groenland, contribuant à réchauffer la base de l’inlandsis et à en influencer la dynamique. Une démonstration supplémentaire que les traces des grandes fractures de la Terre continuent de façonner, en profondeur, la géographie d’aujourd’hui. M.B.