Tactiques de chasse, éléphants de mer du sud vs otaries à fourrure

par Camille Lin
06/19/2024

À l’est du plateau des Kerguelen, le front polaire remonte, favorisant l’agrégation des proies au large en face de la péninsule Courbet. Une situation privilégiée pour les éléphants de mer du sud. Ici, un mâle en effraie un autre. Image : Camille Lin

Depuis les plages de l’océan Austral, des phoques et des otaries, typiques de l’archipel de Kerguelen, partent vers le front polaire pour se remplir la panse de poissons. À chacun sa méthode de chasse.

Crocs acérés plantés dans la chair de poissons lanternes. Larges gueules aspirant de petites proies. Les mammifères à pattes palmées se disputent à cœur joie les ressources de l’océan Austral, avec des tactiques pourtant bien différentes. En mai dernier, les chercheurs du Centre d’Études Biologiques de Chizé montrent par deux articles publiés dans Marine Ecology Progress Series et Journal of Experimental Biology que l’otarie à fourrure, plus petite, est plus réactive alors que contre toute intuition l’éléphant de mer, plus imposant, est plus discret. L’agile otarie développe une tactique basée sur sa facilité à poursuivre des proies. L’éléphant de mer, lui, se dissimule dans l’océan pour les surprendre. Ces chasseurs aux pattes palmées battent la campagne, optant pour la « billebaude » dans le premier cas, en quête de face-à-face ; dans le second, « l’affût » est de mise.

L’éléphant de mer pèse plusieurs centaines de kilos. Massif, il avance en ondulant ses nageoires, situées à l’arrière de son corps, et détecte ses proies à une dizaine de mètres. Avant qu’elles ne le repèrent à leur tour, il s’arrête de nager, interrompt tout mouvement et se laisse planer vers sa proie qu’il aspire en ouvrant largement la gueule et en reculant rapidement la langue. « Cela a l’air de bien marcher parce qu’on s’est rendu compte que les proies fuyaient au dernier moment », nous explique Mathilde Chevallay, qui achève sa thèse sur le sujet.

Les poissons sont pourtant sensibles aux mouvements dans l’eau. Ils décèlent les vibrations grâce à leurs lignes latérales. Par temps de chasse, les otaries comme les éléphants de mer se déplacent lentement dans l’eau, limitant les perturbations. « L’otarie à fourrure repère sa proie moins en avance, une seconde seulement avant la capture », précise la chercheuse. Dans ce jeu du chat et de la souris, otarie et poissons se détectent simultanément, à quelques dizaines de centimètres l’un de l’autre. L’otarie se lance alors à la poursuite de sa cible. Dans un mode de chasse actif, elle a très peu de temps pour agriffer la poiscaille.

« Ses nageoires pectorales sont hyper développées et très musclées. Avec leur trentaine de kilos, les otaries ont de fortes capacités d’accélération et de manœuvrabilité », explique Mathilde Chevallay. Habiles certes, mais ces tigresses de l’océan ne plongent qu’à 50 mètres, là où les éléphants s’aventurent à plus de 500 mètres. « Plus de 800 mètres pour les très bons plongeurs », précise la biologiste. En profondeur, ce qui convient aux pachydermes océaniques, sont les proies un peu plus petites et moins rapides. Leur tactique, l’affût glissé, est moins gourmande en calories, mais ne les empêche pas de manger quelque 1 000 prises par jour. En surface, les otaries peuvent étancher leur fringant besoin énergétique avec des poissons sont plus gros. Finalement, tout le monde y trouve son compte.

Réactifs ou furtifs, ces deux prédateurs apprennent à chasser tout seul. Chaque individu se jette dans le grand bain et ils se dispersent dès leurs premiers jours de mer sans pouvoir compter sur les plus expérimentés pour apprendre les ficelles du métier. Ce qui peut parfois donner lieu à des tactiques différentes. Dans la péninsule Valdés en Argentine, trois des 15 éléphants de mer étudiés par les chercheurs de Chizé ciblent des bancs qu’ils pourraient concentrer en effectuant une pirouette arrière avant de les capturer. « Et ça marche, on voit qu’ils grossissent bien », confirme Mathilde Chevallay. Chose jamais observée sur les individus de Kerguelen.

« Ont-ils rencontré plus de bancs au cours de leur apprentissage ? », se demandent les chercheurs. En Géorgie du Sud, les otaries mangent plus de krill, doit-on s’attendre à des comportements différents ? La façon dont les pinnipèdes de l’Austral élaborent leurs tactiques de chasse reste encore inconnue, attirant la curiosité des biologistes de Chizé.

Camille Lin, Polar Journal AG

Lien vers les études :

  1. Chevallay, M., Guinet, C., Goulet, P., Dot, T.J. du, 2024. Hunting tactics of southern elephant seals Mirounga leonina and anti-predatory behaviours of their prey. Marine Ecology Progress Series 736, 167–179. https://doi.org/10.3354/meps14582.
  2. Chevallay, M., Guinet, C., Goulet-Tran, D., Jeanniard du Dot, T., 2024. Sealing the deal – Antarctic fur seals’ active hunting tactics to capture small evasive prey revealed by miniature sonar tags. Journal of Experimental Biology 227, jeb246937. https://doi.org/10.1242/jeb.246937.

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