Baptême de la Tara Polar Station

par Camille Lin
04/28/2025

Un navire polaire vient d’être baptisé en France, dans le port de Lorient. Un florilège de gens des pôles est venu assister à l’événement, avant son départ vers l’Arctique, où il opérera dès cet été, au nord du Svalbard.

« Tara Polar Station », basé à Lorient. Photo : Michael Wenger

Une petite passerelle articulée descend le long des flancs arrondis de la Tara Polar Station. La pente est assez forte, le franc-bord est prononcé : c’est un bateau de travail adapté à la glace. Il est sur le point d’être baptisé. Le public s’avance jusqu’aux barrières sur le quai de la rade de Lorient ce jeudi 24.

Le député Jimmy Pahun, le maire de la ville, l’ambassadeur des pôles, les responsables du chantier de construction, des mécènes, les équipes de la fondation Tara Océan ainsi que des journalistes affluent vers le ponton d’honneur où stationne le navire.

Heïdi Sevestre, Mathieu Tordeur, Nathalie Metzler, Patrice Godon, Éric Brossier, France Pinczon du Sel, ils sont nombreux, les « gens des pôles » – si l’expression existe – à être venus voir la station flottante propulsée. Un navire pour certains, une station pour d’autres, qui va recevoir la bénédiction de ses parrains, l’astronaute Thomas Pesquet et la mécène Agnès B. La bouteille de champagne s’écrase sur la coque. Photos et applaudissements : le navire reçoit une âme pour lui porter chance, tradition maritime oblige.

Vingt millimètres d’aluminium garantissent la résistance de la coque, ainsi qu’une structure condensée de renforts, pour encaisser les glaces du nord. Il n’a pas vocation à opérer sous nos latitudes : trop rond et ventru pour affronter les océans ouverts, il rentrera dans les glaces du Svalbard cet été pour trouver la stabilité qui est sienne. Une station, pourrait-on opiner, puisqu’à l’équilibre, le navire est à la cape et dérive, pris dans les courants d’une mer gelée.

Les soudures apparentes lui donnent un aspect rustique : 47 kilomètres au total, selon les comptes des Chantiers Mécaniques de Normandie. Le sas d’entrée est une virgule dans laquelle tout ce qui est mouillé sèche, pour éviter la condensation dans l’enceinte de la station. Les boiseries sont lumineuses, avec des finitions légèrement yachting qui apportent une ambiance chaleureuse aux parois lisses et uniformes. « Nous accueillerons des artistes à bord », précise Clémentine Moulin, chargée de la logistique des expéditions Tara, en imaginant déjà des décorations murales. La cuisine et le salon en demi-cercle sont baignés de lumière, passant par de larges hublots presque triangulaires en double vitrage.

Dans les cabines, le lit est sous la courbure de la coque. On y accède en trois ou quatre pas. Au-dessus, un petit puits de lumière. Il sera valable seulement l’été. L’hiver, alors que le soleil aura disparu du ciel, le jour et la nuit seront artificiellement recréés par une alternance entre une lumière blanche et rouge, comme dans les sous-marins. Le corps humain a besoin de sentir ces changements.

La fondation Tara Océan est en train de travailler avec l’Agence spatiale française pour développer des protocoles de suivi de l’évolution du corps humain dans cet espace confiné. Thomas Pesquet, habitué aux longues missions dans l’espace, déclare qu’il suivra les expéditions de la station de près. Il y passera peut-être un peu de temps. « Dans l’espace, nous survolons la Terre entre 53° de latitude sud et nord, mais pas au-delà. On ne voit pas toutes ces zones au nord et au sud, mais on voit la fragilité de l’atmosphère », explique-t-il lors de la conférence de presse. Il ajoute que, dans des espaces confinés, il est important de faire de l’exercice pour se vider l’esprit, et demande s’il est prévu l’emploi d’un rameur ou d’un tapis de course.

Romain Troublé, le directeur de la fondation Tara Océan, acquiesce, rappelant que « l’hiver, il y a également beaucoup de neige à dégager sur le pont ». Symbole du bien-être sur ce navire : le sauna et la cuisine. Deux mois de provisions fraîches pourront être transportés, et de la nourriture pour 14 mois d’autonomie. Pour ne manquer de rien, tous les interstices seront remplis.

La vie à bord de cette station est comparable à celle de Concordia en Antarctique ou Dumont-d’Urville, c’est pourquoi l’Institut polaire français participe à l’organisation des expéditions. Il a transmis son savoir-faire en matière de recrutement. Le projet de dérive s’inscrit sur plusieurs décennies. Le navire devrait entrer et sortir des glaces tous les deux ans et répéter ce voyage. La première dérive, Polaris I, se reposera sur un équipage expérimenté, comme une docteure qui a hiverné plusieurs fois : sur une île, à Concordia, et sur la goélette Tara lors de sa dérive dans les glaces de l’Arctique en 2007.

Sur le pont principal, à l’avant du navire, se situent les laboratoires. L’espace de travail s’articule autour d’un puits qui donne dans l’eau. Aujourd’hui l’eau de la rade, cet été l’océan Arctique au nord du Svalbard. Un conseil de 50 chercheurs anime la stratégie scientifique de la fondation. L’atmosphère, la glace et l’océan seront étudiés non seulement physiquement, mais aussi dans leur biologie. Marcel Babin et Chris Bowler travailleront, par exemple, sur les molécules du vivant qui influencent la formation des nuages et les substances antigel des algues, qui façonnent en partie la glace de mer…

« Nous souhaitons que la haute mer ne soit pas seulement étudiée pour la nature de la géologie sous-marine, mais pour comprendre les changements en cours », explique Romain Troublé.

« Un endroit ni à vendre ni à acheter », déclare Olivier Poivre d’Arvor, qui a inclus le projet dans la stratégie polaire française, dont l’État est le principal contributeur.

Bon voyage, Tara Polar Station! Photo: Michael Wenger