Une aventurière britannique s’est récemment retrouvée au cœur d’une polémique après avoir affirmé être la première femme à avoir traversé l’île de Baffin en solo. Ses déclarations ont généré un recadrage en bonne et due forme par les Inuit de la région, sur fond de réappropriation culturelle.
Le nom de la Britannique Camilla Hempleman-Adams a récemment fait la une des médias internationaux, mais pas pour les raisons qu’elle espérait. C’était le 27 mars dernier. Après deux semaines passées à parcourir 241 km sur l’île de Baffin, Hempleman-Adams annonçait être la première femme à avoir réalisé la traversée en solo de ce bout de territoire du Nunavut. Une annonce qui a suscité une vague d’indignation au sein de la communauté inuit locale qui l’a accusé d’appropriation culturelle et de colonialisme.
Fille de l’aventurier et explorateur polaire Sir David Hempleman-Adams, la jeune femme de 32 ans compte déjà quelques expéditions à son actif dont le pôle Nord qu’elle avait atteint en 2008 à l’âge de 15 ans, faisant d’elle la plus jeune Britannique à atteindre le 90° Nord. Avant son départ pour l’île de Baffin, l’aventurière, qui se présente également comme productrice et styliste, avait mentionné que « Parcs Canada a confirmé qu’il n’existe aucune trace historique d’une tentative de traversée en solo féminin de Qikiqtarjuaq à Pangnirtung.»
Une présence millénaire
Si cette ‘première’ a suscité une telle réaction c’est parce que les Inuit sont présents dans la région depuis des millénaires. « Il est hors de question qu’un colonisateur britannique vienne dans l’Inuit Nunaat [terre inuite, ndlr] en 2025 et revendique une quelconque première. », rappelait ainsi Gayle Uyagaqi Kabloona sur son compte Instagram. La jeune femme, artiste résident à Ottawa et qui a effectué le même trek plusieurs fois, rappelait en outre que l’exploit n’avait rien d’exceptionnel, sa propre grand-mère ayant traversé ces terres à pied et plusieurs reprises, parfois même en étant enceinte. « Chaque centimètre carré de ce continent a une histoire indigène et des histoires comme celle-ci. »
Dans son post, Kabloona déclarait également qu’elle avait demandé des excuses à l’aventurière et une rétraction de la part de la BBC qui avait initialement annoncé l’exploit. La BBC a pour le coup interrogé Kabloona dans un article publié la semaine dernière où elle a expliqué pourquoi les déclarations de Hempleman-Adams ont eu un tel impact : « L’article a touché les gens de plein fouet, à un endroit très sensible, en raison de notre histoire et des difficultés que nous rencontrons chaque jour dans la lutte contre le colonialisme occidental, […] C’est un exemple tellement clair de la manière dont le colonialisme profite de la dépossession des peuples autochtones de leurs terres et nous raye de l’histoire », dénonçant un « privilège » et « une ignorance dangereuse ».
Dans le sillage de Kabloona, d’autres Inuit, en particulier des femmes, se sont également élevés contre les déclarations de Hempleman-Adams, souvent avec humour d’ailleurs, à l’image de l’artiste inuk Tanya Tagaq. « Dans un acte de bravoure extrême, je voudrais annoncer à tous les médias que @bellwoodsbeer [une marque de bière canadienne, ndlr] a sponsorisé mon expédition pour devenir la première femme à découvrir la cathédrale Saint-Paul et à gravir les marches périlleuses de la Whispering Gallery », écrivait-elle sur son compte Instagram. Le post accompagnait une photographie de Tagaq posant devant la grande porte du célèbre monument londonien.
Si le ton humoristique y est, le ras-le-bol est aussi bien présent. «C’est ça, je vais aller me promener en Angleterre et prétendre être la première personne à le faire. » mentionnait un autre commentaire.
Une identité renouvelée
Il faut dire que cette polémique intervient dans un contexte bien particulier. Voilà plusieurs années que les peuples autochtones circumpolaires, dont les Inuit du Canada, effectuent un véritable travail collectif de réappropriation culturelle. Tatouages, chants traditionnels, langages et traditions sont revendiqués, notamment par une jeune génération qui pratiquent les codes culturels traditionnels et affirment une identité que la colonisation aura tenté d’effacer. Et au passage de rappeler également qui était là en premier, ainsi que le rôle que les Inuit ont joué dans l’exploration polaire menée par les Occidentaux. «C’est également très insultant pour les femmes inuit qui ont joué un rôle déterminant dans l’exploration de l’Arctique, de Tookoolito à Ada Blackjack, qui ont bravé des conditions atroces et dont les connaissances ont été essentielles à la poursuite des explorations. Leurs noms sont trop souvent oubliés et mis de côté », remarquait un commentaire laissé sur la publication d’Indigenous.tv en lien avec l’affaire.
Un processus de réappropriation culturelle qui trouve un écho d’autant plus large dans le climat politique actuel. Alors que le président américain Donald Trump n’en finit plus de lorgner sur le Groenland, quitte à envisager d’offrir 10 000 $ à chaque Groenlandais pour obtenir l’île, les Inuit prennent conscience de leur importance sur fond de débat sur l’indépendance.
Dans ce contexte, les déclarations de Hempleman-Adams ne pouvaient que provoquer une polémique et un recadrage en bonne et due forme. Si la jeune femme a depuis platement présenté ses excuses, supprimé son blog et son compte Instagram et réaffirmé son respect profond pour la culture inuit, la controverse aura peut-être au moins permis de rappeler quelques évidences : les Inuit, et les populations autochtones circumpolaires en général, ont toujours été là et, si par le passé, on a tenté de les exclure du tableau, l’histoire désormais s’écrira avec eux et par eux.
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