Des scientifiques du Pérou ont enquêté sur la santé mentale du personnel de la station antarctique du pays. Les résultats devraient servir à la formation des équipes en amont de nouvelles missions.
« Notre pays a été l’un des plus affectés au monde par la pandémie de Covid-19, nous avons eu beaucoup de mortalité », explique Christian Mejia, chercheur médecin des services de santé péruviens et coauteur d’une nouvelle étude. « Nous nous sommes donc demandés quel était l’état d’esprit de nos concitoyens envoyés en Antarctique dans ces conditions. » Au Pérou, les militaires ont été particulièrement exposés. Près d’un quart du corps de l’armée a présenté des symptômes de stress post-traumatique. « Avez-vous perdu des proches pendant la pandémie ? », « Est-ce votre première mission en Antarctique ? », « Êtes-vous marié(e) ou vivez-vous en concubinage ? ». Voici quelques-unes des nombreuses questions que des professionnels de santé ont posées l’année dernière à 25 militaires en mission sur la station péruvienne Machu Picchu. Ces psychologues ont étudié les origines du stress, de la dépression et de l’anxiété éprouvées sur place. Les résultats, publiés en novembre dernier dans Clinical Epidemiology and Global Health, montrent bien du stress, mais ressenti différemment selon l’institution à laquelle ils sont affiliés.
La présence péruvienne en Antarctique dure trois mois. Étonnamment, les marins stressent plus que le personnel de l’armée de terre. Ils sont pourtant plus habitués à la vie en collectivité dans un espace restreint. Sur cette période, le stress et l’état dépressif des marins ont augmenté et l’anxiété est restée stable. Pour l’armée de terre, c’est l’inverse. Les trois paramètres ont diminué. « Nous n’avons pas pu mesurer la quantité de travail, mais nous devrions le faire par la suite. Notre hypothèse repose sur le stress occupationnel », explique Christian Mejia. « Ceux de la marine ressentent plus de stress parce qu’ils doivent tout tenir en ordre et composer davantage avec des déconvenues. »
Le voyage en navire vers l’Antarctique dure environ 20 jours. Carrasco, le bateau de la marine péruvienne, mesure 95 mètres de long, taillé pour la haute mer et pour la science. Il traverse à chaque passage le Drake, entre l’Amérique latine et la péninsule antarctique, un espace maritime particulièrement tumultueux. Certains le surnomment le cimetière marin, et les vagues y mesurent parfois plus de 6 mètres.
« C’est une tâche ardue pour l’équipage et les responsabilités sont plus grandes », explique Jhosselyn Chacon, de l’armée de terre péruvienne. « Le personnel doit être expérimenté, surtout dans le domaine de l’ingénierie. » L’arrivée à Machu Picchu n’est pas gage de tout repos. Il faut alors décharger le matériel, mais une fois cette tâche terminée, les marins restent plutôt en veille et endossent de nouvelles responsabilités.
L’armée de terre – arrivée par voies aériennes – s’affaire au maintien de la station et à l’appui logistique des scientifiques sur le terrain. Ils colmatent les fuites dans les bâtiments et sur la plomberie, souvent abîmés par le gel ou le vent. Ils s’assurent également de la production d’eau chaude, etc. « Les pauses ont lieu quand le vent excède les 30 nœuds. Ils s’occupent alors, par exemple, avec le karaoké ou le bingo », explique Jhosselyn Chacon.
Les deux institutions ne réagissent donc pas du tout de la même façon et ont des habitudes différentes. « Je viens de l’armée de terre, et nous avons, par exemple, depuis l’année dernière, une nouvelle règle en vigueur », explique Jhosselyn Chacon. « Une personne ne peut pas aller plus de trois fois en Antarctique. » L’armée de terre souhaite qu’un maximum de personnes apprenne à vivre en Antarctique pour que personne ne soit indispensable. « Du côté de la marine, il n’y a pas de limite. Pour passer le Drake, ils ont l’habitude d’envoyer ceux qui ont de l’expérience », ajoute-t-elle.
Le personnel médical se prépare à l’allongement du temps des missions polaires menées par le Pérou. Un projet d’extension de la station Machu Picchu est à l’étude. Avec en tête le modèle du Brésil, les médecins pensent à organiser une formation en amont du départ. « Un apprentissage proche de ce qui se fait dans le spatial, afin que les tâches vitales soient connues de plusieurs personnes, mais aussi pour se préparer à supporter la charge mentale d’un long hivernage », explique Christian Mejia.
Camille Lin, Polar Journal AG
En savoir plus sur le sujet :