Attirés par les beautés de l’Arctique et en quête d’explications rationnelles à son fonctionnement, les deux complices se sont fondus dans un paysage gelé. Des condition idéales pour rencontrer des Inuit modernes et partager quelques coutumes ancestrales.
Il s’agit d’un article en deux parties. Voici la première, et nous vous donnons rendez-vous la semaine prochaine pour la seconde.
À cheval sur une motoneige et avec des gants en peau de phoque, ils ouvrent les gaz et partent tout droit sur la blanche banquise. Un attelage les suit : un traîneau inuit en bois sur lequel des instruments branchés sur batterie mesurent l’épaisseur de la banquise. Des images qui reviennent dans plusieurs documentaires sur la vie de France Pinczon du Sel et d’Eric Brossier.
Ces deux Français ont passé plus de 25 ans en Arctique à « faire de la science » en suivant un mode de vie proche de celui des excursions traditionnelles des habitants de la région : out on the land, « dans la nature en dehors des villages », comme ils l’ont précisé à polarjournal.net lors de diverses rencontres au pub Le Donegal et à la librairie Gwennili, dans le Finistère.
Après plus de 12 hivernages, un vingtaine de campagnes d’été et un tour de l’Arctique, les deux compagnons profitent de leurs quelques retours au pays pour se ressourcer, préparer d’autres projets et, par la même occasion, raconter leurs périples.
« Il y a 25 ans, je rêvais de la carte postale, d’une faune extraordinaire, des paysages et des aurores. Si aujourd’hui je tiens à y retourner, c’est pour les habitants de l’Arctique », nous explique Eric Brossier près d’un poêle à bois. « Je ne me vois pas déployer une énergie colossale sans ces communautés qui ont leur mot à dire et tant de choses à apporter. »
« Pour moi, vivre dans la beauté, ça aide. C’est un vrai bonheur chaque matin, et se rendre utile auprès des scientifiques, apporter un support logistique est d’autant plus satisfaisant, car on n’y va pas que pour nous », explique France Pinczon du Sel. « Quand on aime un paysage ou une région parce qu’ils nous transportent, on peut avoir envie de les protéger. Et pour moi, cette beauté m’aide à parler de ces régions et à toucher les jeunes. »
Sur l’archipel subantarctique de Kerguelen, l’idée était venue à Eric Brossier de contribuer à la science dans les régions isolées, alors qu’il était jeune volontaire de service civique en hivernage pour l’Institut polaire français. Une idée qu’il a poursuivie à son paroxysme dans l’Arctique en passant le relais aux gens vivant sur place. « Ils sont plus à même de contribuer à une meilleure connaissance de la planète, même si j’ai vécu là-haut pendant longtemps et que je continue d’y travailler régulièrement », explique-t-il.
Attirée par la beauté de l’Antarctique, France Pinczon du Sel, navigatrice formée aux Beaux-Arts, a participé à sa première expédition scientifique à bord de Pen Duick III en 1998. Elle découvre la vie en communauté restreinte des stations américaines et ukrainiennes, une source d’inspiration. En 2002-2003, elle tourne autour de l’Arctique sur Vagabond, le voilier d’expédition, avec Eric Brossier. En dehors de ses quarts, elle dessine une série d’aquarelles et commence à témoigner des résultats de cette expérience qui deviendra celle d’une vie.
Bien que le tour de l’Arctique fût fondateur pour l’équipage, ce ne sont pas tant le passage des détroits et les escales qui les ont le plus marqués, mais bien les hivernages successifs. Au Svalbard, ils acquièrent de façon autodidacte les rudiments de la vie dans la glace au cours de cinq hivernages passés à suivre les protocoles scientifiques de chercheurs européens et norvégiens. Mais entre 2011 et 2013, France Pinczon du Sel et Eric Brossier changent de secteur et rejoignent Grise Fiord, au Nunavut.
« Cela a été une redécouverte », se rappelle Eric Brossier. Habitués à vivre dans la nature, ils ont suscité la curiosité des habitants du village le plus proche, situé à 50 kilomètres. Bousculés par le monde moderne, ces derniers ne sont plus aussi nomades qu’avant, mais ils sortent des villages lors de campagnes de chasse et de pêche, en groupe ou seuls. « Dans certains des villages où nous sommes restés au Nunavut, les pêcheurs qui relèvent leurs premiers filets sous la banquise en hiver redistribuent du poisson devant les maisons à leur retour », nous explique France Pinczon du Sel. Par leur présence permanente, ils observent la vie locale et y participent.
Ils reçoivent un jour la visite d’un chasseur et de son fils, Terry. Ils avaient récupéré un bébé phoque qui s’était perdu et avaient envie de le montrer au couple et à leurs enfants. Spontanément, des liens se sont créés avec Terry et son père. « Si un petit phoque s’éloigne de sa mère et du trou qu’elle a fait dans la banquise, il ne sera pas secouru. Sa mère se mettrait trop en danger en s’éloignant de son seul échappatoire face à un ours », explique Eric Brossier.
Au fil des rencontres, des conseils et du temps, Eric Brossier et France Pinczon du Sel apprennent à chasser, à pêcher. Même si certains produits venus du sud sont appréciables, sur place, il y a de la nourriture en quantité. « Il y a un esprit communautaire de partage. Régulièrement, les mairies achètent aux chasseurs et aux pêcheurs de la viande ou du poisson, et en plein hiver, tout le village est invité à des festins de caribou et de phoque. Ils savent qu’il n’y a pas un chasseur dans chaque famille », explique France Pinczon du Sel.
« L’objectif des locaux est de se nourrir ; le nôtre est moins d’être autonomes que de faire de la science », précise Eric Brossier. Leur mode de vie ressemble à celui des Inuit qui partent chasser et pêcher en famille. Liant ainsi des amitiés, Eric Brossier et France Pinczon du Sel ont appris à s’habiller différemment, à modifier leur alimentation, à préparer leurs traîneaux. « Ils mangent le poisson congelé, par exemple, et c’est délicieux », précise France Pinczon du Sel.
Ils quittent progressivement leurs habits modernes pour porter des vêtements plus rustiques et moins chers, « mais aussi plus lourds », commente Eric Brossier en se remémorant quelques sorties. « Cela m’arrive de partir à la chasse ou à la pêche avec un copain inuit. Il vient au bateau et me demande de prévoir 20 gallons, la quantité de carburant pour 2 à 4 jours, et c’est à moi d’avoir mon équipement et ma motoneige de prêt le lendemain. Pour moi, c’est un vrai plaisir d’être dans cette situation de confiance et d’intérêt mutuel. »
Ainsi, France Pinczon du Sel et Eric Brossier apprennent comment les Inuit trouvent ce dont ils ont besoin dans la nature, sans gaspiller, en respectant les saisons et le cycle de vie des espèces. « Nous nous sommes intégrés dans l’environnement, pour être heureux et en bonne santé, mais aussi pour gagner en efficacité dans les travaux scientifiques pour lesquels nous sommes engagés », explique Eric Brossier.
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