Pele Blytmann and Joel Hansen – pêcheurs en baie de Disko au Groenland

par Polar Journal AG Team
04/25/2025

Sur le port d’Ilulissat, chaque jour, les marins partent et atterrissent entre les glaces. Nous avons rencontré deux d’entre eux. Ils nous expliquent ce qu’ils aiment dans cette profession et les difficultés qu’ils rencontrent.

Joel Hansen, à gauche, pêche parfois avec son fils, et Pele Blytmann, à droite, a une petite cabine sur sa barque. Image : Camille Lin

Nous sommes en avance au lieu de rendez-vous, près de la station-service, dans l’angle du port d’Ilulissat. La pompe, qui remplie presque continuellement des réservoirs à moitié vides, est adossée à une guérite rouge aux fenêtres grillagées, de laquelle sortent et rentrent les pêcheurs. Ils y règlent leurs factures, et peuvent y acheter des munitions, du café, une pelle et tous types de kits emballés sous plastique. Cela fait dix jours que nous traînons ici, et notre présence ne perturbe plus les conversations qui se nouent autour du banc le plus proche. Pele Blytmann est assis, bonnet sur la tête et taches de rousseur sur le visage, il attend Joel Hansen, un confrère qui parle anglais. Les goélands, comme d’usage, volent autour des barques, des bateaux et des caisses de poissons fraîchement débarquées. Onze heures, il arrive.

Entretien en anglais et groenlandais avec Joel Hansen et Pele Blytmann, pêcheurs en baie de Disko. Production, réalisation : Adrien Chevrier / polarjournal.net

Pele Blytmann pêche depuis qu’il est enfant et, depuis ses 16 ans, il a fait de cette vocation une profession. « Je n’ai pas grand-chose de plus à raconter puisque j’ai toujours été pêcheur », dit-il avec une ironie tendre. Il a les mains dans les poches, un petit rictus se forme au coin de la joue à chaque fois qu’il réfléchit, et la tranquille certitude des hommes qui n’ont jamais eu besoin de se chercher.

Ce métier, il l’a appris par les yeux, en observant sur le port les pêcheurs de son enfance. Puis par la main, dès qu’il pouvait sortir en mer avec un ancien : appâter, disposer les filets… une astuce après l’autre. Depuis qu’il a déménagé à Ilulissat à 16 ans, il ne pêche plus qu’en bateau. Avant cela, il parcourait la banquise en chien de traîneau au départ d’Ilimanaq, pour pêcher en creusant un trou dans la glace.

Dans les années 80, il travaillait sur un chalutier à crevettes, puis, en 1996, sa femme lui a demandé de choisir entre la mer et la famille. Il a donc choisi la famille, mais il part en mer tous les jours sur son embarcation de 5 – 6 mètres, baptisée d’après son patronyme : Blytmann. Un moteur de 300 chevaux lui permet d’avancer quoi qu’il arrive. « Je ne le répare jamais moi-même et le confie à un mécanicien pour être sûr qu’il reste fiable », explique-t-il sérieusement, en ajoutant ne pas avoir d’histoire d’avarie à raconter. En général, il sort tout seul, mais s’il a besoin d’aide, il peut demander à un neveu, Liam, de l’accompagner.

Une erre de liberté

Pêcher tous les jours de l’année n’est pas un problème ; c’est même ce qui lui permet de se sentir libre : pas d’horaires de bureau et s’en remettre à la météo. Les dangers de la mer, il les prend très au sérieux : « Je regarde les prévisions pour savoir quand la glace fermera le fjord. » Il connaît très bien la baie de Disko, ses courants, le comportement de la glace et des animaux qu’il cherche. Il préfère la palangre, mais lors des quelques mois d’hiver, il sort les filets.

Même si le poisson local, l’halibut (le flétan), est le poisson historique, depuis dix ans, les morues remontent dans la baie. Depuis cinq ans, elles sont pêchées et commercialisées. Leur arrivée correspond au réchauffement des eaux et à l’ouverture de la navigation dans la baie presque toute l’année. Le changement climatique peut être perçu comme une opportunité pour certains pêcheurs qui peuvent désormais travailler presque toute l’année. Mais cela ne favorise pas ceux qui ont l’habitude de travailler avec des traîneaux, des chiens et des motoneiges, puisque la glace se raréfie.

Pele Blytmann est le premier élu d’une amicale de pêcheurs, toujours prêt pour aider ses adhérents. Il se rend disponible pour veiller sur ce métier et ses pratiquants, et c’est pour cela qu’il a été désigné.

Joel Hansen (à gauche) nous a donné l’occasion de parler à Pele Blytmann qui ne parle pas anglais. Image : Camille Lin

Joel Hansen pêche depuis 2009. Il a changé de métier et a quitté la terre ferme, laissant de côté les copeaux de bois et la charpente. Il est remonté du sud du Groenland à Ilulissat, où il traque les poissons comme d’autres traqueraient une rédemption. Comme Pele Blytmann, il se sent libre à l’ouvrage. « Quand j’étais charpentier, je travaillais dix heures par jour. Maintenant, des fois, on sort trois jours en mer, mais c’est la liberté », explique-t-il, bien posé sur ses deux jambes.

Le prix à payer, c’est de vivre avec le danger qui rôde. Il se souvient avoir déjà été coincé dans la glace et avoir mis 18 heures avant d’atterrir au port, alors qu’il n’était pas très loin. Chez les pêcheurs, il est courant qu’un moteur s’arrête de fonctionner ou qu’une voie d’eau se déclare dans une coque, mais la solidarité des gens de mer n’est pas un mythe. À la mer, et à ses pairs. « Quand on a un problème, on demande de l’aide, et on reste soudés quoi qu’il arrive », explique-t-il.

L’halibut est le poisson qu’il préfère pêcher, non seulement pour sa valeur, mais aussi pour le jeu de piste qu’il impose. Même s’il a quelques chiens, il n’a pas le temps de faire du traîneau. Il s’occupe aussi, avec cinq autres pêcheurs, dont Pele Blytmann, de l’amicale EABB, dont le siège est une cabane qui a pignon sur le port, en face des usines Halibut et Royal Greenland, où ils vendent leurs poissons. C.L

Ilulissat : port nourricier

Bendt Kristiansen travaille pour l’Avannaata Kommunia – la région administrée par Ilulissat – et se consacre aux entreprises, en particulier celles du secteur de la pêche. La pêche représente 90 % des exportations nationales et 30 % des emplois de cette ville de 5 200 habitants. Image : Camille Lin

Ilulissat est une place forte pour la pêche. Sa situation géographique lui donne des avantages pour sortir facilement en mer, si bien qu’une vague de nouveaux habitants a emménagé dans cette ville, et ne serait pas encore inscrite sur la liste des résidents.

Une des particularités de la région d’Ilulissat, c’est le fjord de Sikuiuitsoq. Il reste gelé toute l’année, parce qu’au fond de celui-ci, il n’y a pas de glaciers qui vêlent, et le courant de l’Icefjord le protège au niveau de l’embouchure. « À cet endroit, les flétans sont d’une qualité exceptionnelle », explique Bendt Kristiansen, responsable du développement économique du district d’Avannaata, à polarjournal.net. Les copépodes y sont particulièrement abondants, notamment grâce aux icebergs. Des pêcheurs ont donc établi des cabanes près de celui-ci et rallient les points de pêche depuis Ilulissat en motoneige, puis en chien de traîneau. Ce coin de banquise est encore épargné par le changement climatique, mais la neige est de plus en plus rare au mois d’avril, ce qui limite son accès en chien de traîneau.

En face d’Ilulissat, la glace est de plus en plus rare. « Les sorties en bateau sont de plus en plus fréquentes les prises ne sont pas moins nombreuses », explique Bendt Kristiansen. Il y a même un effet positif ressenti par la profession, parce que les revenus sont plus stables au cours de l’année. Par contre, un effet négatif relevé par les gestionnaires concerne les tempêtes hivernales, qui peuvent, certaines années, bloquer toute activité pendant plusieurs semaines.

La municipalité de la ville n’a pas vocation à établir les quotas de pêche. Elle travaille cependant avec les pêcheurs pour délivrer les licences de pêche à la palangre ou au filet. Flétan, morue, narval : il y a un nombre défini de captures par région, comme celle de Thulé plus au nord, ou la baie de Disko et le fjord d’Uummannaq. Cette année, une nouvelle loi encadre la pêche pour les bateaux de moins de 6 mètres, qui sont progressivement inclus dans le système de quotas. Pour recevoir une licence, il faut avoir 5 ans de pêche minimum et livrer son poisson aux usines de la ville.