Tourisme au Groenland : un équilibre fragile, le point au lendemain des élections

par Gastautor
03/19/2025

« Sortir par le haut, par l’intelligence », préconise, dans une tribune à Polar Journal AG, Marie-Noëlle Rimaud. L’enseignante-chercheuse en économie et en gestion du tourisme appelle au développement d’une stratégie gagnant-gagnant entre les investisseurs étrangers du secteur touristique et les habitants de l’île, lesquels accordent de l’importance à ce secteur pour l’avenir de leur économie.

Le champ d’icebergs d’Ilulissat est l’une des principales attractions du Groenland. Image : Michael Wenger

On présente le Groenland à la fois comme une destination tendance et comme le symbole du réchauffement climatique, un véritable grand écart qui obligera les nouveaux élus à faire des choix. Sur quoi reposeront les développements touristiques des années à venir : sur un indispensable arbitrage entre d’une part la préservation de l’environnement, le respect des communautés de leur identité et la perspective de recettes touristiques en augmentation, qui contribueront à la sécurisation d’une économie solide, prémisse à une éventuelle indépendance.

Les déclarations de Donald Trump couplées aux questions autour du calendrier de l’indépendance : long terme ou entame rapide du processus souhaitée par le parti nationaliste Naleraq second du scrutin, lors des récentes élections législatives, ont remis le sujet sous les feux de l’actualité.

En 2014, un rapport d’information du Sénat, reprochait au Groenland des prix élevés, un manque d’infrastructures et d’élites diversifiées et compétentes pour prendre les décisions courageuses, arbitrer entre différents scénarios : protéger ou développer le territoire avec les indispensables impacts. Il mentionnait notamment : « Des investissements lourds sont indispensables au développement et à la diversification de l’économie mais ils se heurtent à la fois aux difficultés économiques et sociales actuelles du pays (et au manque de moyens financiers qui les accompagnent), aux difficultés techniques liées aux climats arctiques et subarctiques, par ailleurs en plein bouleversement, ainsi qu’aux intérêts contraires qui peuvent animer tel ou tel secteur d’activité. »

Hall de l’aéroport de Nuuk lors de sa construction. Image : Kalaallit Airports

L’agrandissement de l’aéroport désormais international de Nuuk (GOH) en octobre 2024, ceux à venir d’Ilulissat puis de Qaqortoq nous montre précisément que des choix ont été faits, j’ajouterai même qu’ils sont assumés. Depuis un certain temps déjà, avec l’aide de son bras armé Visit Greenland, l’office national du tourisme, la filière touristique se structure et réfléchit aux valeurs distinctives à promouvoir, ainsi qu’aux investissements à opérer. Ils ne leurs a pas échappé qu’avec une plus grande accessibilité et un tourisme accru, il est essentiel de réfléchir aux impacts sur l’environnement naturel, comme sur les petites communautés. Ils mesurent tout autant qu’il est difficile de trouver l’équilibre entre le nombre et la qualité du visitorat.

La récente Loi du Parlement du Groenland sur les activités touristiques – du 25 novembre 2024 – confirme que le territoire souhaite faire du tourisme un moteur de croissance et offrir des opportunités de développement aux entrepreneurs du secteur. La question qui reste en partie en suspens est l’équilibre entre les opérateurs locaux et les investisseurs extérieurs qui jusqu’à présent avaient tendance à occuper tout le terrain. Le nouveau texte semble arbitrer pour une politique d’investissement et de propriété plus restrictive : sièges sociaux au Groenland et limitation des activités commerciales à des zones spécifiques, pendant des périodes spécifiques ; mais il laisse deux ans aux professionnels, y compris internationaux, pour s’adapter (entrée en vigueur au 1er janvier 2027 seulement).

Le Commandant Charcot, navire amiral de la flotte de paquebots de la compagnie française Ponant, escorte une frégate dans la glace dans l’Arctique. Image : Studio Ponant / Marine Nationale

Toujours la question des investissements, dans un pays de 57 000 âmes, où et comment trouver les ressources ? Peut-être une nouvelle stratégie de coopération : le gagnant-gagnant proposé par Minnie Grey docteure honoris causa de l’Université de Montréal, donc le respect des différents acteurs et l’équilibre dans les retours sur investissements. Dans ce contexte, l’éducation et la formation ont un rôle stratégique à tenir. Peut-être des investissements conséquents de la part des futurs partenaires (et pourquoi pas l’Union européenne). Sortir par le haut, par l’intelligence à la différence de ce qui passe actuellement aux Etats-Unis avec les élites intellectuelles qui sont privés de ressources. C’est parce qu’il a bénéficié d’une éducation et de respect que Mathias Storch, le pasteur écrivain groenlandais, a si bien exprimé les attentes de ses concitoyens. Son roman progressiste revendique pour les Groenlandais savoir, éducation, reconnaissance. Selon Karen Langgård professeure d’Université, qui en signe l’introduction, l’auteur a écrit ce roman avec un objectif politique, notamment envers les Danois qui colonisaient le pays : « Son idée du rôle des Danois était que les Groenlandais devaient collaborer avec les Danois les plus progressistes, capables de les respecter. » (Le rêve d’un Groenlandais, Mathias Storch).

Certains observateurs extérieurs n’hésitent pas à faire peser l’avenir des glaciers et des écosystèmes arctiques, sur la capacité de ce pays à gérer le tourisme de manière responsable. Ils oublient que le tourisme est d’abord affaire de visiteurs et que la responsabilité de ces derniers est aussi de réfléchir à ce qu’est le lieu qu’il visite (Rémy Knafou).

J’aurais envie de m’inspirer du discours de Minnie Grey pour conclure : « Si vos voyages vous conduisent dans nos communautés, prenez le temps de la découverte, respecter le territoire, observez et contribuez à la survie de notre culture, de nos valeurs. »

Marie-Noëlle Rimaud, enseignante chercheur à EXCELIA, membre du CNFRAA (Comité National Français de Recherches Arctiques et Antarctiques) et du fonds de dotation Témoins Polaires.

En savoir plus sur le sujet