Le duo de chanteuses de gorge inuit, PIQSIQ, publie son nouvel album. Justement intitulé Legends, cette nouvelle œuvre propose une immersion dans l’univers des contes traditionnels inuit.
Après avoir achevé une première tournée en Europe en février, le duo PIQSIQ revient avec un nouvel album. Inspiré des contes et légendes inuit, leur dernier opus offre un voyage sonore enivrant, où le chant de gorge ancestral rencontre les textures électro les plus immersives.
Il faut dire que PIQSIQ s’est fait connaître pour son interprétation particulière du katajjaq, le chant de gorge traditionnel inuit. Formé par les sœurs Tiffany Kuliktana Ayalik et Kayley Inuksuk Mackay, PIQSIQ (prononcé ‘pilksilk’) mélange le chant de gorge traditionnel inuit avec des sons et des rythmes répétés en boucles. L’utilisation d’une loop machine permet ainsi de créer des morceaux à la fois complexes et modernes tout en intégrant les éléments culturels du katajjaq et en réaffirmant un héritage traditionnel.
Connu pour leur improvisation scéniques, qui rend chaque morceau et chaque performance live unique, ce duo originaire du Nunavut a débuté sa carrière avec un premier album de reprises de chants de Noël. Sorti en 2019, Quviasugvik : In Search of Harmony est une véritable pépite où les célèbres ‘Carol of the Bells’ ou ‘Ave Maria’ sont réinterprétés en version chant de gorge et sonorités synthétiques. Une manière de se réapproprier la tradition de Noël et son héritage colonial complexe avec grâce et harmonie.
Mais revenons à Legends. Enregistré à Vancouver et produit par Alex Penney, l’album propose dix titres qui plonge l’auditeur dans l’imaginaire inuit. Un véritable kaléidoscope où le passé et le présent dialoguent avec intensité. L’album explore en effet les contes fondateurs, les figures mythologiques et les forces naturelles qui façonnent le récit collectif inuit. Chaque morceau agit comme une incantation moderne, un hommage vibrant à ces histoires millénaires portées par la voix envoûtante des deux artistes.
L’album s’ouvre sur une atmosphère mystérieuse et hypnotique, où les harmonies vocales de gorge se mêlent à des nappes électroniques sombres et profondes. Le contraste entre l’organique et le digital crée une tension lumineuse, parfois troublante, qui traverse tout Legends.
Étonnamment, l’album se révèle aussi comme une expérience visuelle. À son écoute, des images mentales s’imposent autant que des sensations. On visualise la banquise, on sent les éléments, on entend des sons qui pourraient bien être le voix de ces créatures fantastiques dont on finit par se forger une image. Un côté visuel qui fait écho à la démarche du duo. « Nous avons créé des diaporamas visuels pour chaque légende et rassemblé des œuvres d’art inuites, à la fois historiques et contemporaines, représentant ces êtres. », raconte Kayley Inuksuk Mackay dans un communiqué de presse publié par le duo sur son site officiel. « Pendant l’enregistrement, nous projetions ces images dans le studio, puis nous chantions en fonction de ce que nous voyions et ressentions. C’était une expérience profondément immersive et visuelle ; nous laissions les images guider nos réponses vocales. »
Le premier titre « Itiqgin: Enter » offre ainsi une saisissante introduction où se mélangent quelques éléments de chants de gorge et des sons qui évoquent le vent et se confond avec le souffle des voix. Une transition qui permet de planter le décor et de faire entrer l’auditeur dans un monde mystérieux et envoûtant avant d’enchaîner sur « Amautalik: Giantess », l’ogresse de la mythologie inuit qui dévore les enfants. Suivent ensuite sept autre titres, tous en lien avec un personnage de conte.
Aux détours des vagues électroniques et des intonations graves et aiguës des chanteuses, on croise ainsi les Ijiraq, ces ‘changeurs de forme’ qui peuvent prendre l’apparence de n’importe quel animal mais dont les yeux rouges trahissent l’identité. Ou encore les Inuarulliit, ces petites créatures d’apparence humaine qui s’amuse à voler les affaires des Inuit. Un ulu a disparu ? C’est probablement l’œuvre des Inuarulliit.
Et il y a aussi Mahaha, un démon qui chatouille ses victimes à mort ou encore les qallupillit, ces créatures à forme humaine qui tapent sur la glace et qui font disparaître les enfants dans la mer.
Sans oublier évidemment les créatures qui évoluent sous la banquise, dans les eaux glacées de l’Arctique. À l’image de Nanurluk, l’ours blanc géant qui vit sous la glace de mer et dont la fourrure est couverte de glace. Sa taille monstrueuse, sa force immense et son appétit insatiable en font un prédateur redoutable, aussi craint que respecté. Dans ces profondeurs, on rencontre aussi les tutaliit, les sirènes, ainsi que Nuliajuk, déesse de la mer que l’on connaît également sous le nom de Sedna.
Après ce voyage épique dans l’imaginaire traditionnel inuit, l’album se termine sur un outro, le sublime ‘Utiqgin: Return’, qui rendra l’auditeur à sa vie quotidienne.
« Nous voulions rendre hommage à nos récits traditionnels — des narrations qui ne sont pas simplement du divertissement, mais qui sont fondamentales pour l’identité inuit », mentionne Tiffany Kuliktana Ayalik. « Ces légendes ont longtemps servi à transmettre des enseignements essentiels : comment rester en sécurité sur le territoire, comment vivre en harmonie les uns avec les autres, avec les animaux et avec le monde spirituel. Ce sont des histoires de survie, de respect et de lien profond avec le lieu. »
En effet, les créatures issues des légendes inuit n’ont pas grand-chose à envier aux monstres les plus effrayants de nos contes. Les rudes conditions de vie qui prévalent en Arctique ont ainsi contribué à forger des créatures qui ont joué un rôle vital dans les croyances inuit et la construction de tabous salvateurs. Souvent malfaisantes, parfois protectrices, ces créatures ont accompagné les Inuit, générations après générations, forgeant une mythologie transmise par la tradition orale.
Avec Legends, PIQSIQ marque aussi un tournant dans son évolution musicale. L’utilisation de qilaut, ces tambours traditionnels inuit et d’autres formes de percussions s’allient au développement de compétences narratives permettant de donner vie à ces personnages et à leurs enseignements.
« Cet album représente pour nous la synthèse la plus authentique de ce que nous sommes en tant qu’artistes, car il boucle la boucle en puisant dans les histoires qui nous ont façonnées enfants, pour les réimaginer à travers le prisme de nos vies d’aujourd’hui. En nous reconnectant à ce sentiment d’émerveillement, de jeu et de mémoire culturelle, nous avons pu créer quelque chose de profondément sincère et enraciné dans notre identité. »
Dans un monde musical parfois saturé par des codes prévisibles, PIQSIQ s’impose comme un souffle frais, un pont entre traditions ancestrales et modernité électronique. Une invitation à un voyage inédit dans un monde de légendes, guidé par les voix de deux magiciennes du son.
À découvrir sur le site officiel de PIQSIQ : https://piqsiq.bandcamp.com/album/legends