La semaine dernière en France, une table-ronde sur les pêcheries polaires a offert un vis-à-vis intéressant entre Arctique et Antarctique, autour des conséquences de l’instabilité géopolitique sur l’usage rationnel, propre et durable des ressources vivantes de l’océan.
Port de pêche, arsenal de la marine nationale et point de départ des expéditions polaires françaises, Brest est également le siège de la Chaire Enjeux Polaires. Le 7 janvier dernier elle y a organisé une table-ronde sur la gestion des pêcheries dans l’Arctique et l’Antarctique, formidable vis-à-vis.
L’enceinte feutrée de l’amphithéâtre de l’Institut Universitaire Européen de la Mer était garnie d’ingénieurs en herbe, d’aficionados des pêcheries et d’oreilles curieuses. Le parallèle entre les deux régions s’est imposé de lui-même, grâce à des invités – experts du domaine pour chaque pôle -, et a attiré notre attention sur une problématique de taille : les conséquences de l’instabilité géopolitique, en plus du changement climatique, sur l’usage rationnel et durable des ressources vivantes de l’océan.
À titre d’exemple, Pierre Karleskind, de la commission Pêche du Parlement européen, rappelle que le Brexit a plongé l’UE et le nord de l’Europe, jusqu’au Groenland, dans un conflit larvé autour des droits de pêche. Privée des eaux anglaises pour négocier les accords avec les Norvégiens ou les Islandais, l’UE doit réactiver des mesures de rétorsion commerciales pour faire valoir des droits à la pêche dans le nord. De surcroît, des poissons à forte valeur ajoutée migrent vers l’Arctique. Le rapport de force avec l’UE change donc au profit des pays du nord non membres, par exemple pour les quotas du Svalbard.
Sans oublier les conséquences du changement climatique. « Les stocks de poissons se déplacent vers le nord, il faut donc parcourir plus de milles, et les poissons coûtent plus cher », explique l’économiste Emmanuelle Quillérou, précisant que 50 % du trafic maritime des zones économiques exclusives de l’Arctique sont dus à l’activité de pêche.
Le rapport de force autour des questions de pêche n’était déjà pas en faveur de la participation de l’UE au Conseil de l’Arctique et depuis le Brexit, les accords bilatéraux n’aboutissent pas toujours à cause de l’instabilité provoquée. « Cela peut occasionner de la surpêche, parce que tout le monde fait ce qu’il veut », remarque Pierre Karleskind. L’Antarctique connaît à l’heure actuelle un scénario similaire avec les pêcheries de krill.
Le 25 octobre dernier, la Commission de la CCAMLR a été forcée de reculer sur la protection de l’Antarctique. Aucun accord sur la pêche au krill n’a abouti avec la Chine, alors qu’un projet longtemps débattu en amont était sur le point de voir le jour. Il prévoyait la mise en place d’un réseau d’aires marines protégées et une meilleure répartition géographique des captures de krill en contrepartie de l’augmentation de la quantité de krill pêchée. Un projet encadré par des groupes d’experts et de scientifiques. « Un échec cinglant, au lieu d’améliorer la gestion de cette pêcherie, on a perdu une mesure de conservation », constate Marc Eleaume, membre du Comité scientifique de la CCAMLR et du Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Pour Emile Dediu, du Pew Charitable Trusts, « l’infiltration de tensions géopolitiques [extérieures à la gestion des pêches, ndlr] au sein du processus de négociation » l’a déstabilisé.
La pêche illégale est estimée par l’observation du marché et incluse dans l’estimation des limites de captures, explique Marc Eleaume. Une menace plus grande ne serait-elle pas en train d’émerger en Antarctique ? L’instabilité provoquée par les enjeux géopolitiques externes au Traité sur l’Antarctique ? Qu’en est-il des groupes de pression ?
Camille Lin, Polar Journal AG
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